Hania Rani, éloge du piano et de la contemplation
La pianiste néoclassique publie le très beau “On Giacometti”. Elle sera de passage à Anvers le dimanche 26 mars.
Publié le 18-03-2023 à 15h22 - Mis à jour le 18-03-2023 à 15h30
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Lancer la lecture d’un album au réveil va souvent au-delà de l’expérience musicale. On émerge, le doigt est hésitant, les yeux en quiquine de poupousse, et voilà que les premières notes de la journée accompagnent les premières pensées. D’aucuns auront à cœur de démarrer leur grande course quotidienne contre le temps avec du rythme et de la puissance, initiateurs d’un esprit conquérant. D’autres pourraient opter pour la démarche inverse, baigner ce réveil dans l’un des trois albums solo d’Hania Rani avec un effet immédiat sur leur état d’esprit.
Esja, Home et, désormais, On Giacometti, invitent à la lenteur, la contemplation, une forme de distance souvent prônée par les adeptes de la méditation. Virtuose mais adepte du minimalisme, la pianiste polonaise de 32 ans propose pratiquement une bande originale du quotidien. Elle s’est rapidement fait un nom aux côtés de ses illustres collègues “néoclassiques” que sont Nils Frahm ou Olafur Arnalds.
“Tu peux oublier le violon”
“Le jazz et la musique classique ont toujours été très présents chez moi durant mon enfance” commente Hania Rani depuis sa ville natale de Gdansk (nord de la Pologne). “Quelque part, j’ai commencé à faire de la musique bien avant de prendre mes premières leçons”.
Dans un pays où la tradition musicale est viscéralement ancrée dans la population, elle a pourtant commencé tôt. “La Pologne accorde une place particulière à la musique dans l’éducation” poursuit-elle. “Dans la plupart des grandes villes, dont Gdansk, vous pouvez tout de suite accéder à une éducation musicale professionnelle à côté des autres matières”. À six ans, il s’agit déjà de passer un examen et de choisir son instrument. Ce sera le piano, pour une raison évidente. “Ma maman a choisi pour moi” s’amuse Hania Rani. “Elle m’a tout de suite dit qu’elle ne supporterait pas de m’entendre répéter pendant des heures et des heures au violon” (rires).
Le langage des notes
Le don d’Hania pour le piano se révèle rapidement, ses professeurs la poussent, et la musicienne poursuit ses études aux conservatoires de Varsovie puis Berlin. Sa carrière de pianiste classique semble toute tracée, mais une autre voie s’est ouverte en elle des années auparavant. “J’ai appris à lire et écrire de la musique avant de savoir lire et écrire tout court” explique-t-elle. “C’est devenu à ce point naturel que c’est ma première langue, le meilleur moyen d’exprimer mes émotions, ma zone de confort”.
En trente-deux ans dont vingt-cinq passés avec instrument, on imagine la démarche pratiquement inconsciente, au point de devenir une extension de sa personnalité ? “Oui et non. J’aime croire que la musique va bien au-delà de ce que nous sommes, pour créer réalité différente. Pour moi, l’art relève davantage de l’imagination et du fantasme que du réalisme. C’est un rêve, un refuge, une échappatoire”.
Même la banalité est émouvante
L’illustration la plus évidente de ce pouvoir consiste à vivre une scène d’une banalité confondante (un tram passant dans la rue, croiser un inconnu,…) en écoutant Hania Rani au casque. Même le passage d’une patrouille de police transpire alors d’émotion et de mélancolie. “Oui je vois ce que vous voulez dire” (rire) “Je ressens la même chose quand j’écoute de la musique au casque en traversant une foule, par exemple. Le temps se fige, on observe les visages”. En plein Covid lors de la sortie de “Home”, Hania Rani écrivait d’ailleurs sur son site internet : “La question n’est pas de savoir où on va, mais ce que nous sommes capables de voir et entendre autour de nous”.
Dès la sortie de sa première œuvre solo – Esja (2019) – elle a totalement libéré l’approche son instrument, acquis de nouveaux claviers et quelques machines, pour développer un son plus organique que classique. En concert, amplification oblige, on entende pratiquement chacun de ses mouvements.
Situé au bord de la mer baltique, Gdansk n’est pas très éloigné des pays nordiques. L’auteure est même allée un cran plus loin en enregistrant certains disques en Islande, qui – de son propre aveu – a sans doute renforcé ce rapport contemplatif à la nature, l’environnement et un climat relativement rude.
Alberto Giacometti
On Giacometti (2022) avait initialement été enregistré pour accompagner un documentaire sur la vie du célébrissime sculpteur et peintre suisse. “J’admire son travail depuis des années” commente Hania Rani. “C’était incroyablement inspirant. J’ai beaucoup réfléchi à son village d’origine, perdu dans une vallée des montagnes suisses. Les sommets qui entourent cette vallée sont tellement hauts qu’elle reste plongée dans l’obscurité la majeure partie de la journée. Cela dit beaucoup sur son art et sa personnalité. Je voulais recréer cette sensation. Ce rapport presque philosophique à la lumière et la majesté des lieux”.
Hania Rani, Anvers, Trix, le dimanche 26 mars à 20h. Www.trixonline.be