Gérard Jugnot, au "non" du père

Jadis confronté au manque de sollicitude familial, l’acteur très grand public joue actuellement au théâtre au côté de son fils, Arthur.

Gilles Renault © Libération
French actor Gerard Jugnot poses during the opening ceremony of the 14th edition of the Lumiere Film Festival, on October 15, 2022 in Lyon, central eastern France. (Photo by JEFF PACHOUD / AFP)
L'acteur français Gérard Jugnot pose lors de la cérémonie d'ouverture de la 14e édition du Festival du film Lumière, le 15 octobre 2022 à Lyon, dans le centre-est de la France. (Photo JEFF PACHOUD / AFP) ©AFP or licensors

Un calme insolite règne en ce début d'après-midi dans le centre cossu de Paris où, du brouhaha usuel, ne subsistent que des bruits de sirène dans le lointain. Résurgence alentie d'une chape faisant écho au confinement, le boulevard paraît figé, car interdit à la circulation, tandis que, dans les rues adjacentes, moult commerces de luxe, galerie d'art et autres brasseries chics ont tiré les rideaux. Ce mardi d'hiver est jour de manif dans tout le pays, où le peuple en grève guerroie contre la réforme des retraites. Mais pas Gérard Jugnot, 71 ans, qui incarne au théâtre chaque soir Barnabé Leroux. "Un vieux con", comptable veuf, retiré précisément de la vie active, dont le quotidien dénué de fantaisie vacille au moment où il constate la disparition d'un yaourt dans son réfrigérateur.

A "l’extrême centre", avec une dose écolo

L'actu aidant, on cède donc à la tentation d'entreprendre tout à trac le septuagénaire alerte (adepte du vélo électrique) sur les crispations de saison. Impassible, l'homme élégant - manteau de laine, casquette, foulard, mocassins noirs - qui a pris place dans la salle vide du resto bistronomique situé à côté de son domicile, se soucie en priorité de la difficulté du public à rallier le théâtre Edouard-VII. Avant d'atermoyer, comme le font dorénavant la plupart des personnalités, hantées par le moindre avis hétérodoxe, ou simple mot de travers, qui allumerait illico la mèche des réseaux sociaux : "Exerçant un métier de passion, n'étant ni politologue, ni économiste, ni sociologue, gagnant très bien ma vie et restant aussi actif que Jean-Luc Mélenchon, qui a le même âge que moi, je m'estime mal placé pour exprimer un sentiment. A fortiori sur un sujet aussi épineux, où imaginer pouvoir contenter tout le monde tient de la gageure." "Tout au plus puis-je observer que le raidissement perceptible aussi bien du côté du gouvernement que des syndicats n'augure rien de bon", ajoute celui qui, entre autres boutades révélatrices, a de longue date veillé à se situer à l'"extrême centre", saupoudré désormais d'une bonne dose de préoccupation écolo, compte tenu de l'"urgence climatique" face à laquelle il importe d'agir.

Une filmographie volumineuse

Acteur français parmi les plus populaires depuis bientôt un demi-siècle, Gérard Jugnot a prospéré dans la comédie sociale édifiante, jouant presque toujours des sans-gardes amenés à sortir grandis d'expériences inopinées. Ce qui, des Bronzés au Père Noël est une ordure, ratifiant l'humour potache de la bande du Splendid, comme des Choristes à Pinot simple flic, Scout toujours ou Une époque formidable, générera une filmographie volumineuse, plus volontiers validée par le public que par la bien-pensance de la critique. Au point qu'on admettra une pointe d'étonnement à l'idée que ce Parisien grandi à Puteaux ait consenti à ladite rencontre - Libération, pour euphémiser, n'ayant jamais figuré parmi ses plus fervents soutiens. "J'ai déjà tellement parlé de moi que je ne suis plus à un entretien près, pose l'interlocuteur dont le fatalisme pince-sans-rire ne s'embarrasse pas de ronds de jambe. Pas mal de mes films ont été méprisés, Libé a même dû en qualifier au moins un de "sombre merde". Alors, sur le coup ça énerve, voire déstabilise quand Valeurs actuelles apprécie et le Parisien fait la fine bouche. Avec le temps on relativise, trouvant même plus que du réconfort dans la longévité de certains titres, du Père Noël, bien sûr, à Pourris gâtés, mal reçu en salles mais qui réalise des scores énormes sur Netflix. La pire chose restant néanmoins l'échec de projets qu'on a portés pendant des mois, voire des années, comme scénariste ou metteur en scène, et dont il faut se relever en essayant de comprendre pourquoi ça n'a pas fonctionné. Mais du moment que je peux continuer à raconter des histoires…"

Une des toutes premières, dont nulle trace ne subsiste, s'appelait Plombfinger, ainsi titrée en référence à la PME couverture et plomberie d'un paternel avec lequel le rejeton peinera à être sur la même longueur d'onde. Une parodie avec des bouts de ficelle, où la pyrotechnie reposait sur quelques fumigènes, et où le héros troquait l'Aston Martin contre une "mobylette pourrie". Rien de mirobolant, mais déjà l'envie d'élargir le spectre prosaïque d'un écosystème banlieusard, où, aux yeux d'un géniteur "taiseux et inquiet", le caractère non essentiel de la culture ne faisait pas débat.

La suite, maintes fois évoquée, passe par le lycée Pasteur à Neuilly-sur-Seine. Un bahut friqué où, un cran en dessous socialement, l'ado pactise avec les Thierry Lhermitte, Christian Clavier, Marie-Anne Chazel et Michel Blanc, qui, embringués, optent pour les cours d'art dramatique de Tsilla Chelton, la future "Tatie Danielle", qui n'a pas trop de difficulté à persuader l'escouade de "se jeter à l'eau". Début d'une mue sociale, dont l'artiste, qui prise l'adjectif "petit" ("livre", "film", "bonhomme"…), se départ avec une ambiguïté diffuse. "Vous croyez sortir de tout ça, pour en réalité devenir un bourgeois…" en écoutant Fauré ou Debussy, tout en fredonnant le 'Blues du businessman'".

"Si j'avais aimé la vie, je n'aurais pas fait de cinéma" : "très touché" par le dernier Spielberg, The Fabelmans, Gérard Jugnot reprend ainsi à son compte une citation attribuée à François Truffaut. Variante, en plus cash : "Je suis un alchimiste de la merde et du malheur qu'on transforme à des fins cathartiques." Ne faisant pas mystère d'un tempérament "un peu neurasthénique luttant contre la routine", que cautériserait un tropisme humoristique dont il assure pourtant "beaucoup" se méfier, le Bernard Morin des Bronzés préconise un "rire avec" (sous entendu, plutôt que "contre") qu'il serait réducteur de juger consensuel, tant, de son point de vue, le succès reste une "anomalie".

Trois femmes et un enfant

Trois femmes ont principalement marqué la vie sentimentale de l'acteur : la costumière Cécile Magnan, l'actrice Saïda Jawad, et aujourd'hui Patricia Campi, ex-juriste à la ville de Marseille, de trente ans sa cadette, épousée en 2016. C'est avec la première, que Gérard Jugnot a eu son unique enfant, Arthur. Producteur, directeur de théâtre et comédien, ce dernier joue à ses côtés dans le Jour du kiwi, qui, par comédie magnanime interposée, perpétue sur scène la filiation. "On ne se voit pas plus en dehors, mais échangeons un peu avant les représentations, développe l'aîné, papy (résistant) depuis 2013 d'un Célestin. Peut-être suis-je un meilleur père dans la fiction, que je ne l'ai été dans la vraie vie. Assez en tout cas pour avoir transmis le virus."

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