Sarah Bernhardt est morte il y a 100 ans… mais les dieux ne meurent jamais !
Il y a cent ans, le 26 mars 1923, disparaissait l’artiste complète Sarah Bernhardt. Elle inventa le concept de star, et porta le statut haut et fort. Portrait d’une extravagance difficilement dépassable.
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Publié le 26-03-2023 à 08h05
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C’est mieux qu’une artiste, c’est une femme.” C’est ce que dit Victor Hugo, ayant vu Sarah Bernhardt jouer le rôle de la reine d’Espagne dans le drame qu’il a écrit lors de son exil politique, Ruy Blas. Il la surnomme “la voix d’or”, mais ce n’est que l’un des noms donnés à Sarah B., au cours de sa longue vie d’artiste. La Divine. La Scandaleuse. Zim-Boum-Boum – plus mystérieux. Sacha Guitry dit d’elle : “Elle est mémorable, absolument géniale, je dirais même plus : géniale à volonté.” C’est pour l’incarner que Cocteau invente l’expression de “monstre sacré” .

La première fois qu’elle monte sur scène, elle est haute comme trois pommes, chétive, même. Et endosse, pour sauver une distribution hésitante, le rôle de l’archange Gabriel. Nous sommes à Grand-Champ, très chic couvent versaillais, et Sarah, d’obédience juive, y a été placée par sa mère, qui a autre chose à faire que de pouponner. Madame Bernhardt qui a commencé dans la vie comme modiste, en Hollande, son pays natal, a trouvé dans le fastueux Second Empire de la France de Napoléon III un régime où les cocottes font salon, entretenues par le gratin de la cour impériale. Sarah, elle, poireaute à Grand-Champ, et finit par nourrir des destinées mystiques. C’est cependant la scène qui l’anime, et dans sa première pièce Tobie recouvrant la vue, elle épate les religieuses, au point que sa réputation est lancée. C’est en mémoire de cette histoire que le protecteur intime de sa mère, le duc de Morny – par ailleurs demi-frère de Napoléon III, ça aide ! –, soumet sa candidature à la Comédie française, qui l’accepte. Nous sommes en 1862.
Donner son corps et sa voix
Il faut dire que sa mère lui a refusé son souhait de devenir religieuse, elle la dit trop maigre pour faire actrice, propose sans conviction qu’elle devienne “demi-mondaine”. Voilà donc Sarah propulsée au Français, puis au théâtre de l’Odéon, ce qui ne l’empêche pas de devoir vendre ses charmes. À l’époque, les actrices sont obligées d’avoir un protecteur, qui, après la pièce, accède à la loge.
Pourvue d’un physique peu à la mode (menue dans un monde de dodues), peu arrangeante, Mademoiselle Révolte claque la porte de l’Odéon, prétend fuir en Espagne, mais va au bal à Bruxelles, où elle rencontre le prince de Lignes. Qui lui fait un enfant. Il aimerait bien le reconnaître, mais le temps qu’il se décide, elle a mis au monde Maurice – sans doute le seul véritable amour de sa vie –, et explique à de Lignes, façon dame aux Camélias, qu’elle s’efface. La théâtreuse tient à sa liberté qui lui permet tout. Et n’importe quoi, aussi, d’ailleurs !
À cette époque, le poète et dramaturge François Coppée écrit pour elle Le Passant, où elle joue le rôle d’un travesti. Pour une fois, on ne lui reproche pas d’être trop maigre. À la première d’Iphigénie, drame de Racine, le public avait moqué ses bras maigrelets : “Tu vas t’empaler avec tes cure-dents, Iphigénie.” Tout au long de sa carrière, elle interprète nombre de rôles masculins. Elle aime à préciser : “Je ne préfère pas les rôles d’hommes, mais les cerveaux d’homme.” Hamlet. Pelléas. C’est d’ailleurs pour elle qu’Edmond Rostand écrit L’Aiglon, en 1900, dont elle incarne le rôle-titre, celui d’un jeune premier alors qu’elle a près de
Un succès qui s’exporte
Lassée de la presse parisienne qui lui reproche ses excès, et après avoir été, le temps que ça l’amusait, infirmière, dans le Paris de la Commune – l’occasion de soigner le futur maréchal Foch –, elle se fait sculptrice, bien que moquée par Rodin. Puis elle part en tournée en Angleterre. De ce voyage, elle rapporte, en sus d’une aura de star, une ménagerie. Au zoo de Liverpool, elle a dealé l’achat d’un léopard (au lieu des deux tigres qu’elle visait, mais difficiles à transporter). Le directeur du zoo, sous le charme, lui offre un saurien, sorte de gros lézard qui change de couleur, et qu’elle affuble d’un collier, avant de le poser sur son épaule.
"Ce fut le plus grand poète du siècle dernier qui posa sur mon front la couronne des élus."
Pas de doute, Sarah est un phénomène, et Edward Jarrett, imprésario américain, flaire le bon coup. La met dans un paquebot, direction les Amériques. Cette première tournée internationale est un succès complet qui, dans les colonnes des journaux, éclipse l’inauguration du canal de Panama. À New York, les représentations de Phèdre sont sold out, et ce, bien que le public ne comprenne pas le français. Et quand, par mégarde, on distribue le mauvais livret de traduction (le texte du Sphinx à la place de Phèdre), le public n’est pas moins en délire.
Faisant de sa personne une marque, elle invente les produits dérivés. Les poudres de riz “S.B.”, les gants, les colifichets à son effigie se vendent comme des p’tits pains. Sarah traverse les States à bord d’un Wagon Pullman qui accueille sa suite, ses 42 malles de costumes et toute sa ménagerie. Et aussi un piano à queue, tout simplement.
À son retour en France, Sarah a plus d’influence que le président Jules Grévy. Elle reçoit la terre entière dans son hôtel particulier, dans un presque costume de nabab. Son cercueil n’est jamais très loin. Depuis qu’elle a perdu sa jeune sœur Régina de la tuberculose, elle y dort, pour se préparer à la mort.

”Je mourrai sur la scène, c’est mon champ de bataille”
Surfant sur la vague de ce talent vendeur, elle part en tournée en Europe. L’Italie, l’Espagne, l’Autriche, et le sud de la Russie – à Saint-Pétersbourg, Tchekhov trouve qu’elle surjoue. Elle évite avec soin les zones de révolte dans une Europe aux nationalismes en éveil. Sait-on dire si elle joue bien ? Flaubert doute. Mais aime-t-il les actrices ? À la définition des “Actrices” dans son Dictionnaire des idées reçues, il écrit : “La perte des fils de famille. — Sont d’une lubricité effrayante, se livrent à des orgies, avalent des millions (finissent à l’hôpital)…” Aurait-il été éconduit ? Zola n’est pas commode, George Sand peu amène. Pourtant, Sarah lui a confié : “Plutôt mourir que de ne pas devenir la plus grande actrice du monde.”
Malgré son âge avancé, et contre toutes les prédictions de carrière féminines, elle joue Athalie à Bruxelles, en 1921. Elle a 77 ans. Depuis 1915, elle est amputée de la jambe droite, ne se déplace qu’en chaise à porteur, ce qui souligne son statut d’impératrice de la scène. Indiquant un peu de fatigue le 23 mars 1923, elle s’alite. Elle ne se relèvera pas. 600 000 personnes accompagnent les cinq chars de camélias qui la mènent jusqu’au Père-Lachaise, où son tombeau, d’une rare sobriété – une première – , continue d’être l’autel d’un culte à cette femme hors des normes.
Sarah Bernhardt, la bio express
1844 (ou 1841). Naissance de Sarah Bernhardt. Son père est-il un opticien allemand ou un notaire du Havre ? Sa mère est modiste.
1859. Elle entre au Conservatoire d’art dramatique de Paris, puis en 1862, à la Comédie française.
1870. Commune de Paris, elle transforme le théâtre de l’Odéon en hospice. Plus tard, elle soutiendra financièrement Louise Michel.
1880. Première tournée aux Amériques. Elle ne donne pas moins de 259 représentations.
1899. Elle prend la direction du théâtre des Nations, qu’elle appelle “Théâtre Sarah-Bernhardt”.
1915. Elle se fait amputer, pour une blessure mal soignée dix ans auparavant, lors d’une chute sur scène. Elle refuse de marcher, désormais elle se déplacera en chaise à porteur.
1917. Dernière tournée aux États-Unis, durant la guerre. Le public lui crie : “Vive la France !”
1923. Alors qu’elle est en train de tourner un film pour Sacha Guitry, elle s’éteint le 26 mars dans son hôtel particulier de l’avenue Pereire, à Paris, en présence de son fils Maurice.
Pour aller plus loin
-- > Sarah Bernhardt, Scandaleuse et indomptable, la biographie d’Hélène Tierchant, aux éditions Tallandier, 21,90 €, 372 pp.
-- > Sarah quand même, une fiction de Régine Detambel, qui imagine une amie aux côtés de la star, aux éditions Actes Sud, 19 €, 172 pp.
-- > Du 14 avril au 30 juin, le Petit Palais propose un cycle de conférences sur Sarah Bernhardt comme icône de la Belle Époque.