Le goût de la terre
L’écrivain suisse Blaise Hofmann mène l’enquête dans un monde dont il est issu : celui de l’agriculture.
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Publié le 30-03-2023 à 16h00
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Est-ce l'expérience de l'ailleurs qui a rendu nécessaire ce texte illustrant une réalité qui lui est toute proche ? Toujours est-il que pour écrire Faire paysan, Blaise Hofmann (Morges, 1978) est allé à la rencontre d'un monde dont il est issu : celui de l'agriculture. Après Deux petites maîtresses zen, dans lequel l'écrivain voyageur retraçait sept mois d'un périple à travers sept pays d'Asie, il est parti à la rencontre de différentes personnalités, témoignant d'autant de réalités. Balayant les clichés et les idées reçues, il nous entraîne à sa suite à la rencontre d'un monde plus complexe qu'il y paraît.
"Ce livre est l'expression d'un malaise, un questionnement, un constat douloureux, pas mal d'espoirs aussi", écrit dans les ultimes pages celui qui, beaucoup plus tôt, avait avoué que "grandir dans une ferme est un cadeau et ce livre n'est peut-être finalement qu'une tentative de rendre un peu de ce qui m'a été donné". Pour autant, Blaise Hofmann ne livre ici ni un plaidoyer aveugle, ni une élégie nostalgique d'un monde révolu. Posant les faits et la parole recueillie carnet de notes en main, il éclaire pour nous les contradictions, décortique les enjeux, pointe nos responsabilités collectives autant qu'individuelles.
"Les mots 'humus' et 'humilité' ont la même racine latine." Au fil de son enquête, il a dû braver la discrétion, un peu de méfiance parfois. Car s'il a passé tous les étés de son enfance à récolter des cerises pour le kirsch ou à empiler des bottes de paille, il évolue désormais dans un autre camp. "La différence se mesure à ma manière de parler, de serrer la main, de marcher, de m'asseoir, de tenir mon verre." La question de la légitimité n'est pas loin. "J'entends déjà les commentaires : Qu'est-ce qu'il nous prépare, le fils Hofmann ? Un bouquin sur les paysans alors qu'il ne sait ni traire, ni semer, ni faucher ?"
Nuances et vérités
Le rôle déterminant des politiques agricoles et donc des votations, les incertitudes quant à l’avenir, l’opposition entre les villes et les campagnes, le travail administratif toujours plus envahissant et contraignant, les suicides, les tensions suscitées par la réintroduction du loup, l’évolution technologique qui libère du travail physique mais asservit les esprits, la dégringolade des prix payés aux producteurs quand les marges de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution sont toujours plus importantes, les limites du bio, les produits interdits qui réapparaissent via les fourrages exportés, la discrète et ingrate place des femmes, les démarches inventives et raisonnées, la détermination de certains… C’est un large panorama de la réalité agricole contemporaine qui se déploie dans ces pages. Tout en cultivant l’art de la nuance, Blaise Hofmann ne craint ni d’assener certaines vérités, ni de laisser poindre quelques élans d’indignation.
Pour conclure ce livre où l'enquête entre en résonance avec une sensibilité plus intime - celle de fils et de petit-fils de paysan autant que celle de citoyen -, l'auteur d'Estive suggère qu'il serait plus constructif de parler de "politique alimentaire" plutôt que "politique agricole". Et de partager non pas un souhait, mais un rêve : que les citadins et les paysans, s'ils ne parlent plus le même langage, puissent au moins parler de la même chose.
-> À la Foire du livre : "Faire paysan", rencontre avec Blaise Hofmann, vendredi 31 mars à 20h, scène Terremer.
- > Blaise Hofmann | Faire paysan | récit | Zoé | 215 pp. Prix 18 €, version numérique 11 €
EXTRAIT
"Tout un pan du monde paysan est en train de s'évanouir - des gestes, des odeurs, des bruits, des goûts, des savoir-faire, des savoir-être - et on se comporte comme si de rien n'avait changé, comme si rien ne changera jamais."