"Le ‘woke’ est en train de ruiner la vie de beaucoup de gens et de ruiner l’art"
Invitée d'honneur de la Foire du livre, Lionel Shriver réagit à la censure qui vise Roald Dahl, Agatha Christie et Ian Fleming
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Publié le 31-03-2023 à 13h39
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Invitée d'honneur de la Foire du livre de Bruxelles, la romancière américaine Lionel Shriver s'est exprimée dans les médias à propos de ce qu'on appelle l'affaire Roald Dahl, qui concerne les changements désormais imposés par son éditeur dans les textes de l'écrivain britannique. Parmi les principales interventions, l'apparence physique des personnages est la première visée. C'est ainsi que les mots "gros" et "laid" ont été supprimés de chaque nouvelle édition de ses livres, parmi lesquels Charlie et la chocolaterie. Depuis, Agatha Christie et Ian Fleming, le père de James Bond, sont également dans le viseur de certains. Que dit de notre temps cette tendance à une forme de censure ?
"Franchement, je déteste notre époque", rétorque la romancière. "Elle ne correspond pas du tout à mon tempérament. La vie contemporaine, en particulier dans la sphère anglo-saxonne, est censurée, jugée, morose, puritaine, craintive, dénonciatrice, sans joie, ennuyeuse, conformiste et moralisatrice. Roald Dahl, Agatha Christie, Ian Fleming : je laisserais toutes les œuvres de ces auteurs tranquilles. Je déteste tout dans le concept de "lecteurs sensibles". L'hystérie de l'offense me pousse à vouloir offenser fiévreusement le plus de gens possible. Le seul sens dans lequel je suis vraiment adaptée à cette époque est que j'y ai trouvé un rôle d'hérétique. Je riposte, comme trop peu de mes collègues écrivains l'ont fait. Cela dit, je suis une croisée improbable. Je ne suis ni altruiste, ni une activiste née. Je n'ai pas l'habitude d'adhérer à des causes. Mais ce que nous appelons aujourd'hui 'woke' est en train de ruiner la vie de beaucoup de gens, et de ruiner l'art. J'ai hâte que ce chapitre se termine. Pourtant, je pourrai regarder en arrière, si je vis assez longtemps, en sachant que j'ai fait ce que j'ai pu pour rester ferme, pour qualifier de farfelues et d'autocratiques les nouvelles 'règles' stupides sur ce que nous sommes ou pas autorisés à dire, pour maintenir l'intégrité de son propre travail, pour défier les idiots et les lâches, et pour préserver mon sens de l'humour. Je pourrai dire en toute confiance que je n'ai pas capitulé devant la foule moralisatrice qui a subi un lavage de cerveau et dont les voyous braillards seraient tout à fait à l'aise dans la Révolution française."
-> Lionel Shriver | À prendre ou à laisser | traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine Gibert | Belfond | 284 pp., 22 €, version numérique 15 €
-> Meet the writer. Lionel Shriver sera à Bozar le vendredi 31 mars, à 19h30. Rencontre en anglais. Entrée : 10 € / 8 €. Infos et rés. : www.bozar.be
-> À la Foire du livre: Lionel Shriver et Lize Spit en conversation. Le samedi 1er avril, à 16h, sur la Scène Fahrenheit (Maison de la Poste).