Mélissa Da Costa : "C'est un peu le fil rouge de tous mes romans, l'idée d'un nouveau départ qui permet de tout recommencer"
La romancière française de 32 ans sort son 6e roman, "Les femmes du bout du monde". Elle sera en dédicace et en conversation avec Julien Sandrel ce samedi à la Foire du livre. La file sera longue pour celle qui est au centre d’un énorme succès de librairie depuis "Le bleu du ciel". Rencontre à Paris.
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Publié le 31-03-2023 à 17h10 - Mis à jour le 31-03-2023 à 16h18
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Ses chiffres de vente donnent le vertige. Même si elle n’est ni la première ni la dernière à écouler ses romans par centaines de milliers. La singularité de Mélissa Da Costa, c’est qu’elle est la première femme à atteindre la troisième marche du podium, derrière Guillaume Musso et Joël Dicker. En chiffres, cela se traduit au classement officiel des ventes gfK 2022 par 845 000 exemplaires écoulés.
La romancière de 32 ans en serait presque la première étonnée. Elle ne se la joue pas star, se rendant disponible autant pour ses lecteurs (lors de rencontres chez les libraires comme lors des salons) que pour les journalistes. Elle n'en est encore pourtant qu'au tout début de sa notoriété - résultat d'un incroyable bouche-à-oreille francophone alors qu'elle est boudée par les critiques littéraires ; excepté un passage le 8 mars dernier par La Grande Librairie sur France 5.
J'écris depuis que je suis petite, 6-7 ans. À cet âge-là, si on s'adonne à une activité, c'est parce qu'on y prend du plaisir.
Vingt pays viennent d'acheter les droits de ses romans. "Il y en a qui démarre avec Les femmes du bout du monde, d'autres par Les lendemains, d'autres encore avec Je revenais des autres. Dans l'intervalle, il a fallu qu'on récupère les droits de Tout le bleu du ciel", commente l'intéressée alors qu'on la rencontre au siège de sa maison d'édition, Albin Michel, qu'elle a ralliée par RER - une heure de trajet.
À la question basique de savoir pourquoi elle écrit, elle vous répond qu'elle ne se l'est jamais vraiment posée. "J'écris depuis que je suis petite, 6-7 ans. À cet âge-là, si on s'adonne à une activité, c'est parce qu'on y prend du plaisir." Et que racontait-elle, à l'époque, dans ses histoires ? "Je me mettais dans la peau d'une petite fille ou d'un petit garçon d'un autre âge. Je pouvais être à l'autre bout de la planète, j'avais des pouvoirs magiques. J'étais invisible, tout était possible, en fait. J'avais la faculté de lire dans les pensées. On oublie le monde terre-à-terre, il n'y a plus de frontières, tout peut recommencer à l'infini."
En plein déconfinement, j'avais envie de m'enfuir et je me suis enfuie. Par l'écriture.
Pour rédiger, 25 ans plus tard, Les femmes du bout du monde, son 6e roman, elle ne s'est guère mise dans un autre état d'esprit. "On était en plein déconfinement. Tout rouvrait petit à petit, mais il fallait montrer patte blanche (avec le pass sanitaire). Je me suis demandé dans quelle société on vivait pour se faire bipper de partout. On se méfiait les uns les autres. Je ne me sentais pas bien. J'avais envie de m'enfuir et je me suis enfuie. C'est ainsi qu'est née l'envie d'écrire une histoire qui se passe à l'autre bout du monde, en Nouvelle-Zélande, où j'avais passé un an en 2018 avec mon compagnon." (lire ci-contre)
Mélissa Da Costa insiste, elle écrit d'abord pour se faire du bien à elle - et il se fait qu'elle en fait beaucoup à ses lecteurs et lectrices. Elle défend l'idée que la littérature, ce n'est pas forcément proposer de la broderie. "On n'est pas là pour faire de belles phrases", veut-elle croire. "On est là pour faire passer des messages." Et s'il est question, dans son nouveau roman, de l'écologie et de la place des femmes, ce serait une erreur d'y voir un quelconque opportunisme. "Depuis mes premiers romans, c'est un fil rouge que j'exploite de façon de plus en plus forte. J'ai commencé à m'intéresser à l'écologie à une époque où on n'en parlait pas comme maintenant. En dernière année de master, on avait eu un cours de responsabilité sociétale des entreprises : comment faire du business tout en y intégrant une notion d'éthique ? C'est quelque chose qui m'a d'emblée passionnée. Et puis, en attendant de trouver du travail, je me suis engagée dans un service civique. Huit mois dans une mairie pour mettre en place des démarches écologiques", se souvient celle qui a d'abord exercé comme chargée de communication.
J'ai fait pas mal de recherches sur la culture maori. Je m'en suis nourrie et j'en ai parsemé le roman.
Quand elle fait dire à une de ses héroïnes que les Maoris (peuple d'origine polynésienne habitant la Nouvelle-Zélande) ont un rapport fusionnel avec la nature, elle ne l'a pas inventé. "Quand on a pu visiter des villages maoris et leurs temples, j'aurais voulu en apprendre davantage. C'est finalement au moment de la rédaction du roman que j'ai pu combler ma frustration. J'ai fait pas mal de recherches via Internet sur cette culture, je m'en suis nourrie et j'en ai parsemé le roman." Et c'est une thématique qu'elle rend bien.
Son premier récit, qui ne s'intitulait pas encore Tout le bleu du ciel, Mélissa Da Costa ne l'a pas fait parvenir par la voie traditionnelle de l'envoi aux maisons d'édition. "Elles n'acceptent que des manuscrits. Sept cents pages à imprimer 50 fois (parce que cela ne sert à rien de ne l'envoyer qu'à deux-trois) plus les frais de poste, on est vite à 1000 ou 2000 €", détaille-t-elle. "Je ne gagnais pas des mille et des cents. Je n'allais pas dépenser l'équivalent d'un Smic pour tenter d'être lue par un éditeur parisien." Elle a préféré le déposer sur monbestseller.com, une plateforme française indépendante, et se confronter directement aux lecteurs. "Si je voyais que ça ne le faisait pas, que ça n'intéressait personne, j'aurais enterré mes fantasmes et continué à écrire pour mon propre plaisir." Par ce biais de publication, ce sont les lecteurs et les lectrices qui font le succès d'un auteur ou d'une autrice. Au centre de Tout le bleu du ciel, un jeune homme de 26 ans condamné par un Alzheimer précoce, qui cherche une compagne ou un compagnon pour un ultime voyage. Mélissa Da Costa commente : "C'est un peu le fil rouge de tous mes romans, ce nouveau départ qui permet de tout recommencer à zéro".
Votre livre ne m'a pas simplement donné envie de vivre, il m'a donné envie d'exister. De m'émanciper, de m'affirmer, de trouver ma voie.
Quel retour a-t-elle de ceux qui la lisent ? "Pour moi, proposer un livre aux gens, c'est une façon de les divertir, de leur permettre de s'évader, de passer un bon moment. Je me suis rendu compte qu'on impulsait aussi des envies de changement." À propos de son nouvel ouvrage, un garçon de quinze ans lui a fait ce commentaire : "Votre livre ne m'a pas simplement donné envie de vivre, il m'a donné envie d'exister. De m'émanciper, de m'affirmer, de trouver ma voie." "C'est un commentaire très très fort que je ne m'attendais pas forcément à recevoir."
--> Mélissa Da Costa, Les femmes du bout du monde, Albin Michel, 379 pp., 21,90 €, version numérique 15 €
Un livre qui porte bien son titre
Le bout du monde
Après les Pyrénées (Tout le bleu du ciel) ou l’Auvergne (Les lendemains), Les femmes du bout du monde prend place dans le “pays du long nuage blanc”. “Pour le décor, je me suis inspirée de la Nouvelle-Zélande, où mon compagnon et moi-même nous sommes rendus avec la volonté d’être déconnectés de la société, de se retrouver au plus près de la nature, dans de grands espaces vierges encore sauvages. On voulait faire ce voyage, façon “van life”, donc, en vivant sans presque rien dans un véhicule. Avec un endroit où on ne serait pas en train de surveiller sans cesse notre sac à dos. Le côté sécuritaire de la Nouvelle-Zélande a joué dans notre choix.”
Les femmes
Autumn et Milly, mère et fille, tiennent un camping “avec le pôle Sud de l’autre côté du bleu” comme horizon. Débarque chez elles, Flore, une Française woofer qui, contre quelques heures de travail, recevra gîte et couvert. Rongée par la culpabilité, Flore a fui son pays, son mari, mais pas encore sa culpabilité. Ce personnage, Mélissa Da Costa l’a doté de traits de caractère que la littérature a trop souvent attribué aux hommes. C’est une femme volage, peu respectable au comportement colérique et agressif. Elle est en quête de rédemption. “Je voulais que la confrontation entre Flore et la nature soit le reflet de ce qui se passe en elle. La violence de la nature venant faire écho à ses tourments”, commente l’autrice. Les femmes du bout du monde s’inscrit dans la lignée de Tout le bleu du ciel, un page turner, un feel good book, aussi. Un livre qui fait du bien commentent ceux qui succombent aux histoires de Mélissa Da Costa, réclamant du rêve. C’est que notre monde n’en offre plus guère. On regrettera qu’à de trop nombreux passages, la plume de Mélissa Da Costa arbore des couleurs pastel, fleur bleue comme eau de rose. “C’est un joli souvenir à garder pour les mauvais jours, car il y en a toujours”, “On a tous besoin de belles histoires de temps en temps”, “On épouse une femme car elle nous surpasse et nous donne envie d’être meilleur chaque jour”,…) C’est peut-être parce qu’au centre de ce livre, on trouve l’amour dans toutes ses déclinaisons.