La passion d’Orfeo
Révélation flamboyante d’un mythe fondateur, par Garcia Alarcon et ses troupes.
- Publié le 16-04-2023 à 17h39
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“Favola in musica” (une fable en musique) : dans le prologue allégorique de cet Orfeo de Monteverdi qui ouvrit avec éclat l’histoire de l’opéra, c’est ainsi que la Musica définit elle-même ce qui va suivre. Mais la fable est plus encore qu’une fable, c’est un mythe fondateur remontant à la naissance de la philosophie et questionnant la vie et la mort, le désir et la liberté, et le pouvoir (ou non ? ) de l’art et de l’esprit. C’est donc à travers la musique – et rien qu’elle -, que ce drame déchirant prit corps et sens, vendredi dernier, au Grand Manège de Namur.
À l’austérité visuelle des lieux correspond leur extraordinaire qualité acoustique (signée Eckhard Kahle), valant pour les moindres recoins de la salle ; pour cet Orfeo, une simple mise en espace (très étudiée quand même) aboutit à la plus éloquente des versions, avec ses révélations et ses mystères.
Dès le prologue, l’orchestre fit valoir la richesse infinie de ses sonorités, entre confidence intimiste et fanfare éclatante, après que les cordes, établies sur scènes, furent rejointes par les cuivres, en procession depuis le haut de la salle. Cette occupation totale des lieux par les musiciens prévaudra d’un bout à l’autre de la représentation. Tous les chanteurs – solistes et membres du Chœur de chambre de Namur (préparé par Thibaut Lenaert) – chantaient de mémoire, ce qui leur permit de s’emparer librement de la musique, de jouer et de circuler au gré de l’action, en connexion ininterrompue avec leur chef, Leonardo Garcia Alarcon (mille idées à la seconde), qui ne se priva pas d’improviser…
Le violoniste danseur
Les musiciens eux-mêmes offrirent des gestes d’une incroyable émotion, notamment le premier violon, Yves Ytier, qui, après s’être discrètement débarrassé de sa veste et (nous a-t-il semblé) de sa mentonnière, se métamorphosa en merveilleux danseur (comme Cendrillon en princesse) et mena sa partie en duo avec Orphée, le violon devenant lyre en passant de l’un à l’autre. On songe aussi à Proserpine (Anna Reinhold), enlaçant tendrement Poséidon (Alejandro Merapfel) en lui murmurant dans la nuque les souvenirs de leurs anciennes amours. Ou la Musica (incandescente Mariana Flores) invitant le public à un clapping généralisé pour fêter l’heureuse issue ( ?) du drame.
Au centre de l’affaire, un Orphée en or : Valerio Contaldo, timbre solaire, vaillance et fragilité mêlées, technique sans faille, allure, style, rhétorique, projection. Comme souvent dans ce cas, il valorisa à plein ses compagnes et ses compagnons de route, eux-mêmes triés sur le volet, perceptiblement en phase avec tout leur environnement.
Les artistes ont enregistré l’Orfeo il y a deux ans, le CD est sorti en 2022 et traduit déjà la spontanéité savante et la liberté observées l’autre soir à Namur, et conférant à l’enregistrement sa vitalité et sa saveur.