Comment l'intelligence artificielle révolutionne la création musicale: "Dans 20 ans, les IA pourront créer des morceaux crédibles de A à Z"
De plus en plus de morceaux sont créés à l’aide d’intelligences artificielles. Un phénomène qui annonce, sans doute, le début d’une révolution dans le monde de la pop.
Publié le 07-05-2023 à 15h01 - Mis à jour le 07-05-2023 à 15h05
Drake en duo avec The Weeknd, Bad Bunny avec Rihanna, Ariana Grande qui reprend Billie Eilish, les Beatles qui chantent “God Only Knows” des Beach Boys, un nouvel album d’Oasis… Ces dernières semaines, de “fausses” chansons imitant les voix de chanteurs connus se multiplient sur les réseaux sociaux. Cela grâce à un logiciel doté d’intelligence artificielle capable de faire chanter n’importe quel artiste. Le résultat est impressionnant. Avec une écoute distraite, difficile de se rendre compte qu’il s’agit, en réalité, de robots.
Curieux de tester les potentialités offertes par ces technologies, le duo franco-américain Alltta, composé de Mr J.Medeiros (Knives) et du producteur 20syl (C2C), vient de publier sur les réseaux sociaux un feat artificiel avec le rappeur américain Jay-Z. “Savages” compte plus de cinq millions de vues sur Twitter. “Ce morceau était prêt depuis déjà deux ans, on ne savait pas trop quoi en faire. On était bluffé par le résultat, mais on avait bien conscience de toutes les problématiques autour des droits et de l’appropriation”, explique le producteur français. Ce dernier estime cependant qu’il est important que les artistes participent au débat et “questionnent ces outils.”
Transmission des émotions
De manière peut-être surprenante, de nombreuses réactions vis-à-vis du morceau se montrent plutôt positives. “On a beau savoir que ce n’est pas Jay-Z, on peut se laisser porter par la chanson. Et c’est là que parfois ça plaît ou dérange”, souligne 20syl. Peut-on être touché par une chanson faite avec de l’intelligence artificielle ? Une question sur laquelle s’est penché le chercheur allemand Francisco Tigre Moura (IU International University of Applied Sciences). Lors d’un sondage, celui-ci remarque que la perception première du public face aux musiques composées avec de l’IA est globalement négative. “L’expertise dans l’art ou d’autres domaines comme le sport est fortement lié aux compétences. Si on n’est pas capable d’accomplir quelque chose et qu’une IA le fait à votre place, cela va impacter la crédibilité”, explique-t-il.
Mais lorsqu’on fait écouter des chansons générées par une IA, le fait de le savoir ou non, n’influe pas le ressenti. “Ce n’est pas forcément étonnant, la musique est essentiellement un stimulus. Si elle active notre système nerveux de manière positive, c’est compliqué de dire qu’on n’aime pas. Notre cerveau nous envoie l’information qu’il s’agit d’une expérience agréable.” Francisco Tigre Moura conçoit que l’idée peut déplaire : des machines peuvent nous émouvoir, même si les chansons qu’elles composent sont dénuées d’intention et d’histoire.
Un outil à la création
Il reste toutefois important de noter qu’il existe deux types de courant dans la création musicale assistée par des algorithmes. D’un côté, on observe une multiplication d’intelligences artificielles génératives et indépendantes. Ce sont des logiciels nourris par des œuvres existantes qui permettent de fournir du nouveau matériel. Certains sont très simples d’utilisation : il suffit de donner quelques mots-clés, de sélectionner le genre souhaité ou parfois même de juste appuyer sur un bouton. On peut alors obtenir un titre dans le style de Chopin, Queen, Madonna… La qualité des morceaux générés reste toutefois encore peu convaincante, mais cela pourrait bien changer rapidement étant donné la rapidité des avancées technologiques.
On va chercher à faire de l’IA un instrument de musique.
Pour Ninon Devis, chercheuse à l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) qui développe des logiciels en collaboration avec des artistes, l’intérêt des machines réside plutôt dans la co-création. “À l’IRCAM, on essaie vraiment d’offrir un outil à la création et non pas un remplacement de la création, assure-t-elle. On va chercher à faire de l’IA un instrument de musique. Ce sera moins accessible, il faut l’apprendre, avoir une interaction.” L’artiste électro française DeLaurentis perçoit les IA de la même manière : elles sont des partenaires, des sources d’inspiration pour son travail. Sur son album Unica, les harmonies, voix, cordes, cuivres… proviennent des suggestions de l’IA. Ces propositions sont sélectionnées, éditées, retravaillées. DeLaurentis reste entièrement maître de son œuvre.
Génération pionnière
La technologie permet, selon elle, de décupler les idées. “Sur mon prochain EP, “Classical Variations Vol.2”, j’ai changé la grille harmonique avec l’IA. J’ai eu des résultats surprenants qui m’ont plu. Je n’aurais pas trouvé ça toute seule.” La Française collabore avec différents laboratoires de recherches (Spotify, Sony CSL). “C’est intéressant aujourd’hui d’être artiste et de faire partie de la génération pionnière de l’IA. Dans 20 ans, les IA pourront créer des morceaux crédibles de A à Z.”
Une évolution qui effraie une partie de l’industrie musicale, des musiciens et du public. L’utilisation des IA va, en effet, transformer la création artistique, chambouler la manière d’appréhender les œuvres, remettre en question le rôle des artistes. “Il y a toujours eu des révolutions dans la musique, tempère DeLaurentis. On est passé de l’acoustique à l’électrique, puis à l’électronique. Aujourd’hui, les IA sont la suite logique.”