Le fric au cœur de l’art
L’argent a, de tout temps, fait partie des préoccupations des artistes. Dans un très bel ouvrage, illustré à propos, Nadeije Laneyrie-Dagen explicite un inventaire réfléchi.
Publié le 07-05-2023 à 15h33
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Historienne de l’art, spécialiste faisant référence, auteure de nombreux livres, de L’art pour tous à L’enfant dans l’art, Nadeije Laneyrie-Dagen mène son sujet tambour battant. Son érudition n’a d’égale que sa faculté à développer une recension à la portée de toutes les intelligences. Son livre se lit avec bonheur, tant il nous immerge dans une réalité qui nous concerne en ce XXIe siècle de tous les profits.
Avançant dans une histoire des hommes qui recoupe si souvent l’histoire des arts et celle d’artistes en prise éclairée sur leur temps, l’auteure nous tient par la main pour que nous repensions, à notre tour, une histoire de l’art loin de sa tour d’ivoire. Une histoire asservie aux démêlés des hommes entre richesses et pauvreté.
À chapitres clairement définis – Un crime originel ? La légende de Judas ; Les deux leçons de la vie de Jésus ; Le dilemme de l’Église : pauvreté ou aumône ? Le riche peut-il être sauvé ? Les vices de l’argent : jeu et amour vénal ; Crises financières, papier-monnaie et caricature ; Le capitalisme et sa critique ; Contemporanéité : les mythes, la bourse et la monnaie –, des réponses au gré des états de fait, des représentations, des explications factuelles, morales, religieuses des œuvres présentées en regard de chacune des époques qui ont tissé notre histoire de variantes, de constats, de sentences.
De Giotto à Warhol
Si l’argent pourrit toujours davantage nos vies, ce mal nous vient de loin. Nadeije Laneyrie-Dagen élabore son étude à partir de la réintroduction de la monnaie en Occident, à la fin du Moyen-Âge. Pièces d’or, d’argent, de bronze, alliages de cuivre et d’étain, l’argent, pour le commun de la population, c’est la pièce.
C’est l’époque où apparaissent les riches mécènes. Ils soutiennent les États, les artistes, en tirent gloriole et statut privilégié. Et, de la monnaie métallique à la monnaie de papier puis, de nos jours, à la monnaie virtuelle, toute une histoire a de quoi nous étonner.
Déjà bien avant le Moyen-Âge, en suivant les Évangiles, on peut lire que Judas l’Iscariote aurait vendu le Christ contre un salaire de trente deniers en argent. Comprenant trop tard sa trahison, il aurait voulu se rétracter. Devant le refus de ses marchands du temple, il se serait pendu.
Au Moyen-Âge, Giotto a peint Le baiser de Judas. Nous sommes alors vers 1305 et la fresque de Giotto orne la chapelle Scrovegni, à Padoue. Cette trahison a été peinte par Rembrandt près de trois siècles plus tard : Judas rapportant les trente deniers.
À cette époque et jusqu’au XVIIe, les images de Jésus enseignent le détachement de l’argent avec des variantes. Des explorations picturales, de Bosch à Bruegel, fustigent par la métaphore la cupidité, comme elles soulignent ailleurs le geste de donner.
Riche en exemples et détails, autour d’Erasme notamment, dénonçant bonimenteurs et rapaces, courtisanes et voleurs, le livre est un aperçu éclairant sur l’intérêt qui fait loi. Et notre époque est un bel exemple de cupidité universelle. Un livre pour savoir ce qu’il nous en coûte !
*** L’argent dans la peinture, par Nadeij Laneyrie-Dagen Panorama Editions Citadelles & Mazenod, 210 pages largement illustrées en couleur, de Giotto à Orlan. Prix : 59 euros