Étienne Daho : “Je parle de moi dans mes chansons”
Le parrain de la french pop sort “Tirer la nuit sur les étoiles”, un douzième album à son image. Élégant, moderne et toujours aventureux. En concert à Forest National le 2 décembre.
Publié le 12-05-2023 à 11h45
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"Ce disque, c’est un peu comme un hôtel avec plein de visiteurs qui viennent passer la nuit”, explique Étienne Daho. De Vanessa Paradis, sur la chanson "Tirer la nuit sur les étoiles" qui donne son titre à l’album, au duo italien électro Italoconnection, en passant par Calypso Valois, Doriand, Global Network, le fidèle réalisateur Jean-Louis Piérot ou encore le groupe américain relocalisé en Bretagne Unloved, la liste des intervenants est impressionnante. Fusion de lyrisme orchestral et d’électro, mariage d’instruments organiques et de sonorités modernes, confrontation d’intime et de collectif, Tirer la nuit sur les étoiles garde pourtant le cap tout au long de ses douze chansons. Entre ballades d’écorché vif ("Les derniers jours de pluie", le splendide "Roman inachevé"), morceaux à influences sixties ("Boyfriend"), techno ("Virus X" et ses grosses infrabasses) ou new wave ("Les petits criminels"), le parrain de la french pop a créé une œuvre parfaitement à son image. Élégante, aventureuse, exigeante, soignée et romantique.
Quel a été le déclic de ce douzième album ?
Le déclencheur a été la chanson "Virus X". Le duo italien Italoconnection, que j’avais rencontré lors d’un concert de reformation du groupe rennais Marquis de Sade, m’a envoyé une musique sur laquelle j’ai écrit ce texte. Le morceau est sorti en 2021 sous la forme d’un maxi remixé par différents producteurs. Ça m’a remis dans l’envie de réécrire. Je sortais aussi de l’album Oh ! Pardon tu dormais… de Jane Birkin que j’avais coproduit avec Jean-Louis Piérot. Un disque très important pour moi et très émouvant. Après ces deux expériences, les choses ont été très fluides. J’ai commencé à travailler “avec moi-même” et puis, j’ai ouvert le projet à d’autres personnes talentueuses.
Le challenge d’un tel projet, c’est de ne pas s’égarer en chemin ?
Si j’ai fait appel à autant de monde, c’est parce que je recherchais cette alchimie entre la musique orchestrale et l’électro. La cohérence vient du ton et puis de l’ordre des chansons. Pour moi, le tracklisting a toute son importance. L’enchaînement et la modulation entre chansons lentes et rapides permettent une écoute de Tirer la nuit sur les étoiles du début à la fin, même si on traverse des univers complètement différents.
Est-ce qu’Étienne Daho parle d’Étienne Daho dans ses chansons ?
Je parle exclusivement de moi dans mes chansons. Je n’ai sans doute pas assez d’imagination pour faire de la fiction. Cet album est un condensé de ce que j’ai traversé ces deux dernières années. Sur un plan personnel mais aussi collectif. Ceci dit, je n’aime pas déflorer mes chansons en donnant trop d’infos. Je préfère qu’on se les approprie selon ses humeurs et ses envies. Le morceau "Virus X" est une manière de parler de la pandémie et d’y ajouter une dimension personnelle à propos d’une relation toxique. "Respire", c’est une réflexion de l’après-Covid quand on enlevait le masque et qu’on retrouvait sa liberté. Ces deux titres se suivent sur le disque, c’est voulu. "Le chant des idoles" évoque la guerre en Ukraine. Je parle aussi des voyages, des relations d’amitié, des relations amoureuses et des bars ouverts tard la nuit. Il y a beaucoup de bars dans ce disque…
Rencontrée pour “Oh ! Pardon, tu dormais…”, Jane Birkin nous disait : “Étienne, il connaît toute l’histoire du clan Gainsbourg et moi je ne connais rien de sa vie privée”.
C’est vrai, je me confie très peu quand je collabore avec des gens, mais, comme je suis fan, je m’intéresse à tout ce qu’ils font. J’ai aussi la chance d’avoir des rapports très cloisonnés et privilégiés avec les membres d’une même famille. Chez les Gainsbourg, il y a eu d’abord Serge, puis Charlotte, ensuite Lou Doillon et Jane. J’ai aussi connu ça avec Jacques Dutronc, Françoise Hardy et Thomas Dutronc. Et après avoir collaboré avec le couple Elli&Jacno, c’est leur fille Calypso Valois qui est sur mon disque. Je suis entre les générations.
Dans la notice biographique figurant sur votre site web officiel, il y a l’intertitre “Homme de goût et passeur généreux”. Vous vous y retrouvez ?
Je ne savais pas, mais c’est très beau. J’ai toujours eu cette tendance à partager mon enthousiasme pour un disque, un film ou un livre. Ado, je faisais des cassettes avec mes chansons préférées et je les distribuais autour de moi. J’ai gardé cette envie de transmettre. Souvent, il m’arrive de rencontrer des gens qui me remercient pour ça. “Grâce à vous, j’ai découvert le Velvet Underground ou The Jesus and Mary Chain”. C’est une question d’honnêteté : je cite mes sources et les gens qui ont une influence sur mon travail. Aujourd’hui, je saoule tous les journalistes avec le duo Unloved qui joue sur mon disque. Je les adore. Vous devriez les interviewer. Ils ont plein de choses à dire…
Ce n’est pas la première fois que vous enregistrez dans les studios d’Abbey Road, à Londres. Qu’ont-ils de particulier ?
J’y vais pour leur mythologie, pour le professionnalisme de ses techniciens, pour le son. J’aime bien l’idée de me retrouver dans des lieux chargés d’histoire. Ça ajoute des vibrations dans mon travail. Les chansons les plus orchestrales de Tirer la nuit sur les étoiles, je les ai préparées chez moi avec des synthés. Mais, quand j’arrive dans le studio B à Abbey Road, là où les Beatles, Pink Floyd et Syd Barrett ont enregistré leurs disques, ça devient réel. Rien n’a changé, tout est resté, tout est parfait. La plupart des notes de piano que vous entendez sur mon album ont été jouées sur le piano qu’utilisait John Lennon. Moi ça m’a donné des frissons, j’avais les larmes aux yeux, c’était magique.
Sur Spotify, quand on tape votre nom dans le moteur de recherche, la première chanson proposée est "Le premier jour (du reste de ta vie"). Un bon choix ?
L’algorithme dirige les auditeurs vers la chanson la plus écoutée de mon répertoire. Du coup, il y a encore plus de gens qui vont l’écouter et ça va faire encore plus de streams qui vont influencer l’algorithme. Bref… "Le premier jour" fait partie de mes chansons préférées, mais je ne pense pas que c’est le titre qui me représente le plus. Pour moi, la chanson qui me définit le mieux est "L’homme qui marche", sur l’album Les chansons de l’innocence retrouvée en 2013. C’est le morceau dont je suis le plus fier et dans lequel je me retrouve le plus.
Pensez-vous être resté la même personne qui enregistrait “Mythomane” voici 40 ans ?
Exactement la même personne. Comme au premier jour, j’ai envie de faire de la belle musique et de communiquer avec les autres. Mon ami photographe Richard Dumas, qui était guitariste quand je faisais mes débuts sur la scène musicale de Rennes, m’a fait réécouter des maquettes que nous avions enregistrées à l’époque. On entend nos commentaires entre nos répétitions. C’est extraordinaire comme document, car j’ai l’impression d’être le spectateur de ce que j’ai vécu voici quarante ans. Mes réactions, mon enthousiasme, mes doutes sont exactement les mêmes qu’aujourd’hui. C’est plutôt rassurant de savoir qu’on fait toujours ça pour les mêmes raisons.
Le 2/12, Forest National, Bruxelles.