Dennis Lehane de retour en force
Parution mondiale pour "Le Silence", portrait d’une femme hors du commun prise au piège d’une situation extrême.
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Publié le 17-05-2023 à 12h50
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Orfèvre du Noir, Dennis Lehane a suscité l'intérêt des meilleurs cinéastes : Clint Eastwood (Mystic River, 2003), Ben Affleck (Gone Baby Gone, 2007) et Martin Scorsese (Shutter Island, 2010) l'ont adapté avec brio. Ses intrigues magistralement ficelées, ses univers complexes, sa fine perception du pouvoir qui galvanise ou corrompt ne sont qu'enchantements. C'est donc avec curiosité que l'on se plonge dans Le Silence (Small Mercies) - que l'auteur d'Un pays à l'aube a écrit alors qu'il dirigeait le tournage (perturbé par le covid) de la série Black Bird - et l'on n'est pas déçu.
À South Boston, quartier irlandais de la ville natale de Dennis Lehane, l’été 1974 prend des allures de poudrière. En cause : les tensions raciales suscitées par la décision de mélanger les élèves afin de lutter contre la ségrégation dans les écoles. Un service de bus doit être mis en place pour transporter les jeunes d’un quartier à l’autre. C’est dans ce contexte tendu que le lecteur fait la connaissance de Mary Pat Fennessy. Aide-soignante dans une maison de retraite, cette mère élève seule Jules, sa fille de dix-sept ans. Dépitée à l’idée d’effectuer sa terminale dans un autre lycée que le sien, celle-ci peine à trouver du sens à sa vie - preuve que Jules a une sensibilité et des aspirations, ce qui fait la fierté de Mary Pat.
Un soir, Jules ne rentre pas. Les heures puis les jours passent, et l’angoisse augmente. Femme de tempérament qui a déjà perdu un fils emporté par une overdose, Mary Pat est décidée à la retrouver coûte que coûte. À ses dépens, elle va découvrir à cette occasion que la communauté sur laquelle elle pensait pouvoir compter ne lui est d’aucun secours. La mort d’un jeune Noir, percuté par une rame de métro dans des circonstances troubles, ajoute à son désarroi : non seulement son quartier est moins solidaire mais sans doute aussi plus raciste qu’il ne le prétend.
Portrait de femme
Déterminée, audacieuse, rusée, à la fois détruite et indestructible : avec Mary Pat, Dennis Lehane nous offre le portrait d'une femme hors du commun, aussi complexe qu'attachante. Les Irlandais "sont les gens les plus amicaux qu'il ait jamais vus. Jusqu'au moment où ils ne le sont plus. Et là, ils sont capables de renverser leur propre grand-mère pour enfoncer votre foutu crâne dans un mur de briques" : ce constat est celui dressé par le policier Bobby Coyne, qui les connaît bien. C'est dire la force de Mary Pat, comme de ceux qu'elle affronte dans sa quête éperdue.
Au fil d'une intrigue menée tambour battant (gage d'un réel plaisir de lecture), une vérité dérangeante se dessine peu à peu. Le Silence qui donne au livre son titre est celui dans lequel se débat Mary Pat, dans une dérangeante solitude. On retrouve dans ce roman, dont la parution est mondiale, tout le talent de Dennis Lehane : dans une noire atmosphère d'abandon et de désespoir, où le règne de la drogue et le racisme effacent toute humanité, des personnages créés avec beaucoup de soin sont confrontés à des situations extrêmes. Le noir domine, mais il n'est pas exempt de pointes d'amour et de compassion. S'il continue à nous raconter sa ville de Boston, D.L. s'intéresse ici à la relation parents-enfants, à laquelle il ne cesse également de revenir. La façon dont on peut mentir à nos enfants (avec les meilleures intentions). Notre impuissance à les protéger. Même l'amour inconditionnel ne peut tout.
--> ★ ★ ★ ★ Dennis Lehane | Le Silence | Roman | traduit de l'anglais (États-Unis) par François Happe, Gallmeister, 445 pp., 25,40 €, version numérique 17 €
EXTRAIT
“Ce n’est peut-être pas l’amour qui est le contraire de la haine. C’est l’espoir. Parce que la haine prend des années à se former, tandis que l’espoir peut déboucher au coin de la rue alors même que vous avez les yeux ailleurs.”