“L’Africa museum doit être aussi un lieu pour la créativité africaine contemporaine”
Rencontre avec Bart Oury, qui succède à Guido Gryseels, au poste de directeur de l’Africa museum à Tervuren.
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Publié le 20-05-2023 à 07h34
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Dans le bureau de Bart Ouvry, le nouveau directeur de l’Africa Museum à Tervuren, ce sont des œuvres d’artistes africains contemporains qu’il a choisi de placer sur les murs, dont deux tableaux de la peintre congolaise Géraldine Tobé et des photographies du Congolais Yves Sambu et du Malien John Kalapo.
Bart Ouvry, 62 ans, succède à Guido Gryseels qui resta 21 ans à la tête du musée. Ce diplomate chevronné, après avoir étudié l’histoire et les sciences de la communication, a eu une riche carrière qui l’a amené à travailler au Kenya, au Congo et au Mali où il était encore en poste comme ambassadeur et chef de délégation de l’Union européenne jusqu’à son arrivée à Tervuren début mai.
Quels sont vos liens avec le musée et l’Afrique ?
J’ai fait des études d’histoire et ce musée est un lieu historique où l’histoire fait partie de ses recherches scientifiques. J’ai aussi étudié la communication essentielle pour un musée. Et, en tant que diplomate, j’ai fait un passage à Genève où je me suis occupé, pour l’Onu, du conseil des Droits de l’homme. J’y ai passé du temps sur les parkings avec mes collègues africains qui fumaient beaucoup. Je ne fumais pas mais je me rendais compte que les rapports directs et informels avec mes collègues africains étaient très importants, car nous sommes proches géographiquement mais aussi par l’histoire. C’était important d’avoir des contacts avec eux et de trouver des alliances. C’est là que je me suis lié d’amitié avec mes collègues congolais par exemple. C’était parfois délicat mais aussi attachant. À mon départ de Genève, le collègue congolais est venu avec un cadeau. Si je suis parti au Congo ensuite comme ambassadeur de l’Union européenne, cette anecdote a joué un rôle. Pouvoir nouer ainsi des relations personnelles même dans des circonstances difficiles, c’est propre aux Africains qui peuvent intégrer plusieurs logiques. J’ai trouvé cela fascinant. Lors de mes trois postes africains – Kenya, Congo, Mali – j’ai noué des amitiés profondes.
D’où est venue l’idée de postuler pour la direction du musée ?
Dès mon premier poste en Afrique, j’ai accordé beaucoup d’importance à la culture et à la science et j’ai vite noué des contacts avec Guido Gryseels. Je disais déjà à ma femme que devenir directeur d’un tel musée devait être fantastique par l’environnement du musée, son histoire… Ma femme m’a traité de fou, mais c’était un rêve. En tant que diplomate, j’y vois une belle continuité car cette maison fait beaucoup de coopération scientifique et culturelle. Nouer des liens avec d’autres, c’est au cœur du métier de diplomate comme de celui de directeur de musée.
Le processus de décolonisation du musée entraîne des vifs débats entre ceux qui trouvent qu’on a été trop loin et d’autres qui pensent le contraire.
Ces questionnements existent aussi à l’intérieur du musée. Ma mission est de faire en sorte qu’il y ait un consensus large sur les missions du musée, c’est tout autre chose que l’unanimité. Une de mes premières tâches est de faire que, dans chaque pilier du musée, les gestionnaires des collections, les scientifiques, ceux qui travaillent aux aspects muséaux, se mettent ensemble pour dire quelles sont nos tâches essentielles et quelle est notre stratégie. Ensuite, il faudra consulter les autres. Questionner notre public pour connaître ses attentes et comment on peut mieux faire. Dans le cadre de la commémoration 125/5 (125 ans du musée et 5 ans de sa réouverture, rénové), on travaillera aussi avec la diaspora africaine en Belgique pour savoir quelles sont ses attentes. Mon ambition est de revenir à une relation structurelle de consultation avec cette diaspora, dans une structure qui doit être représentative de la diaspora de toutes les régions belges et de toutes les générations. D’ici la fin de cette année, je ferai déjà des propositions pour adapter le musée à l’expérience de ces cinq dernières années.
Comment continuer cette décolonisation ?
La décolonisation est un processus qui dépend beaucoup de l’évolution de la société. Dans le parc de Tervuren, on trouve un monument de Tom Franzen inauguré il y a 25 ans pour le centenaire de l’Exposition coloniale. En 1997, il y eut peu de controverses. Aujourd’hui, on ne pourrait plus faire un tel monument. La société a énormément évolué grâce à des livres comme ceux d’Adam Hochschild ou grâce au mouvement Black Lives Matter. Le musée doit jouer un rôle de référence dans ce processus, apporter des réponses et non pas simplement subir cette évolution. La décolonisation, ce n’est pas qu’une question d’objets. Les Européens et les Africains doivent décoloniser d’abord leurs manières de penser. Je n’accepte pas les Congolais qui viendraient me dire “tonton, il faut revenir chez nous”. L’Afrique a profondément changé. Les Africains ne veulent plus de cette mentalité post-coloniale. Ils veulent vraiment se prendre en charge. Certes, il y a encore beaucoup de difficultés. Mais les ambitions des Africains aujourd’hui ne sont plus celles d’il y a 20 ou 30 ans. Nous devons nous adapter à cette situation qui ouvre à de vrais partenariats, surtout en matière culturelle et scientifique. Il est essentiel de pouvoir mener ces recherches en Afrique – je pense à celles concernant le réchauffement climatique — dans une relation gagnant-gagnant.
En avril dernier, l’Africa muséum signait avec 60 musées africains et européens, la “déclaration de Dakar” visant à renforcer les partenariats entre musées.
Henri Kalama qui dirige l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa nous a dit : “Il ne faut pas vitrifier notre culture. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui nous avons une culture dans nos villes, de l’art contemporain très important pour notre identité. Ne nous réduisez pas à notre passé, à notre passé colonial, regardez aussi l’Afrique telle qu’elle est aujourd’hui.” C’est une nécessité pour un musée d’Afrique de faire vivre aussi l’Afrique actuelle qui est riche. À Kinshasa, on a une scène culturelle vibrante en arts plastiques, formidablement out of the box, en musique, en mode. Les sapeurs reprenaient des vêtements d’Europe, mais, aujourd’hui, ils les font eux-mêmes. Ils développent une vraie créativité et c’est essentiel de l’intégrer dans notre musée avec expositions, défilés de mode,.. Dans l’exposition permanente comme dans des expositions temporaires. Notre mandat est de montrer l’Afrique dans son histoire et dans notre histoire commune, mais aussi de donner une scène à l’Afrique d’aujourd’hui et de regarder son avenir. On ne réduit pas la tâche du musée à la décolonisation et à la restitution.
Où en est la restitution au Congo des biens volés qui se trouvent au musée ?
On attend la nomination des experts congolais de la commission qui doit étudier les demandes de restitution. Celle-ci doit être un processus bien organisé et doit se faire en partenariat. Nous avons une base légale. Il y a un travail de recherches qui est en cours, mais qu’on veut faire avec nos partenaires congolais. On a mentionné le chiffre de quelques centaines d’objets dont on sait clairement qu’ils ont été volés. Les autres peuvent être étudiés dans un processus que nos collègues congolais nomment de “reconstitution” plutôt que de “restitution”. Ils ont une vision beaucoup plus large qui ne se limite pas au retour d’objets. Si on a fait la réunion de Dakar, c’est aussi pour travailler sur l’amélioration des capacités des musées africains en terme budgétaire ou d’organisation. Les attentes sont énormes. Il faut aussi éviter de se braquer sur la question matérielle, ou de prescrire le calendrier de la restitution. Il faut être à leur écoute. Et le temps belge ne correspond pas toujours au temps congolais. Je compte aller à Kinshasa dans les mois à venir, en tant que directeur du musée, et on verra alors les détails à organiser. Mon expérience est que, nous en tant que Belges, on a souvent tendance à mettre des délais très ambitieux même pour nous-mêmes. Or ce genre de processus nécessite de laisser du temps au temps, d’éviter à tout prix d’être unilatéral, ce qui ne veut nullement dire de retarder les choses, bien au contraire. Entretemps, nous pouvons faire des prêts comme cela s’est fait lors de la mission du roi Philippe au Congo. Nous avons 120 000 pièces ethnographiques, 8 000 instruments de musiques, des millions de spécimens biologiques. Je ne comprends pas ceux qui auraient une opposition de principe au retour au Congo de certaines de ces pièces. Pour moi, c’est une question essentielle de permettre aux Africains de se ré-approprier leur histoire.
Le musée est pour qui : Afro-descendants, anciens du Congo, amateurs d’art ?
C’est un musée pour tous les publics, sans exclusion, un environnement où tous peuvent venir pour des débats, des échanges, où nous apportons notre expertise, plus de compréhension et, si possible même, plus d’amour pour la créativité qu’on voit dans les objets qu’on expose.
On a retrouvé au musée l’espace “Let’s talk about racism” qu’on avait créé en marge de l’exposition sur les “zoos humains”.
Ce mur qui évoquait le racisme au quotidien, avait parlé à notre public. Il y avait une demande de la diaspora, mais aussi des écoles et des jeunes de le remettre en place. Nous avons là un rôle éducatif de sensibilisation à la question du racisme. Nous avons des collections fabuleuses, mais on veut aussi avoir nos deux pieds bien ancrés dans la réalité de la société belge d’aujourd’hui.