Beigbeder à bride abattue
Avec un sens de la formule et un ton provocateur folâtrant avec l’humeur, l’écrivain français se confie. Il ne se sent pas bien dans notre époque.
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Publié le 24-05-2023 à 09h00
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Pauvre Frédéric Beigbeder, serions-nous tenté d’écrire, s’il n’y avait eu la raison pour laquelle il dit avoir écrit ce livre. Afin d’expliquer à sa fille, Oona, 3 ans à l’époque (en 2018), pourquoi des vandales ont couvert d’insultes sa maison et sa voiture le traitant de "violeur", de "salaud". En cause, selon l’auteur français de 57 ans, le fait qu’il aurait signé une pétition, celle des "343 salauds", contre la pénalisation des clients de prostituées. Cela valait-il vraiment cet ouvrage ? Qu’il signe chez Albin Michel, une première, alors qu’il a, à de rares exceptions, toujours été fidèle à Grasset depuis 1994.
Chez les frères puis chez les militaires
Le titre, d'abord. Confessions d'un hétérosexuel légèrement dépassé. Tout y est dit. Beigbeder va parler de lui, à la première personne et du monde dans lequel il vit. Le livre est composé de cinq confessions, dont deux ("Le refuge" et "Un chaos structuré") sont des textes retravaillés, tirés d'ouvrages collectifs précédemment publiés. Ils s'avèrent, et ce n'est sans doute pas un hasard, les plus intéressants. Le refuge, c'est celui de Sainte-Marie de Lagrasse où il est allé chercher la quiétude ("une sorte de détox post-DJ set littéraire", après deux dates au Bataclan où "[il avait beuglé] les passages les plus nihilistes de [ses] livres"). Le chaos structuré le voit "enrégimenté dans une caserne militaire". S'il a dit adieu à la coke (cf. le texte éponyme), l'alcool continue de le rendre fou, confie-t-il. "Je voyais l'armée comme la dernière étape avant les urgences psychiatriques."
La plume de Frédéric Beigbeder possède un allant certain - il n'a pas usurpé l'Interallié (Windows in the World en 2003) ou le Renaudot (Un roman français en 2009). Que dire du magnifique Oona et Salinger en 2014 ? Il a le sens de la formule aussi - sa carrière de publicitaire dans les années 90 a laissé des traces. Il possède un ton, provocateur, folâtrant avec l'humeur qui sied à un style radiophonique ou télévisuel. On écoute, on sourit (parfois jaune), on oublie. De là à être imprimé.
Victime de son désir
"Moi aussi je suis une victime" et "Un désir effrayant" laissent, à de nombreuses reprises, pantois. Beigbeder, blanc, de sexe masculin, bourgeois, hétérosexuel ne se sent plus de ce monde. Qu’il le laisse aux jeunes, alors, plutôt que geindre. Il dit vouloir conclure ses confessions sur une note primesautière. Le lire compter les années non plus en avant ou après Jésus-Christ, mais en avant ou après Weinstein, suscite le malaise. Il établit un parallèle douteux entre des comportements d’hommes avant et après metoo. Oui, le néoféminisme et le mouvement woke possèdent leurs limites, sans doute pas au point de se déchaîner comme il le fait en fin d’ouvrage - à bride abattue. Si on lui laisse une certaine lucidité dans sa conclusion (sur la société de surconsommation), elle aurait mérité une démonstration plus posée.
--> ★ Frédéric Beigbeder | Confessions d'un hétérosexuel légèrement dépassé | Récit | Albin Michel, 164 pp., 19,90 €, numérique 14 €
EXTRAIT
"Quant au patriarcat... ce mot m'a toujours fait sourire. Quel patriarcat ?? Ma génération ne sait pas ce que c'est. Les papas sont tous partis de chez eux. Il n'y a pas de pères non divorcés dans les années 1970. Il est où, le fameux patriarcat dont les féministes me rebattent les oreilles ? J'ai été éduqué par une mère célibataire qui travaillait pour nourrir ses deux fils. Je n'ai d'autre modèle familial qu'une femme seule, et on m'explique qu'il faut vaincre le patriarcat ? Non, mais je rêve !"