Plongée dans l’Amérique violente et homophobe qui a voté pour Trump

Deux pères que tout oppose s’accordent pour venger leurs fils assassinés. Un roman électrisant signé S.A. Cosby.

En Virginie, on peut acheter une arme au supermarché.
En Virginie, on peut acheter une arme au supermarché. ©Copyright (c) 2020 Trevor Bexon/Shutterstock. No use without permission.

Est-ce un crime homophobe ? Ou Isiah et Derek se sont-ils simplement trouvés au mauvais endroit au mauvais moment ? Sous la plume alerte et efficace de S.A. Cosby (né en Virginie en 1973), La colère (Razorblade Tears, paru aux États-Unis en 2021) est celle des pères de ces deux jeunes hommes, assassinés par balles alors qu'ils n'avaient que vingt-sept ans.

Le deuxième roman de S.A. Cosby est en cours d'adaptation au cinéma.
Le deuxième roman de S.A. Cosby est en cours d'adaptation au cinéma. ©Facebook

À sa sortie de prison, alors qu’Isiah n’était encore qu’un gamin, Ike a tout fait pour rester dans les clous et offrir une vie décente aux siens. Ainsi a-t-il monté une petite entreprise de jardinage, aujourd’hui florissante. Ce qui lui a notamment permis de payer les études universitaires d’Isiah, qui voulait devenir journaliste. Pour Buddy Lee, le tableau est nettement moins reluisant : abandonné par sa femme il y a des années déjà, le père de Derek végète dans un mobile home pourri. Tout semble opposer le Noir qui s’est battu pour se construire un avenir au Blanc incapable de prendre son destin en mains. Tout sauf une chose : aucun des deux n’a assisté au mariage d’Isiah et de Derek.

Quoi qu’il en coûte

Les deux hommes partagent également une douleur d'autant plus vive que les liens avec leurs fils s'étaient distendus depuis qu'ils avaient appris leur homosexualité. Galvanisés par la culpabilité et la certitude qu'ils auraient dû agir autrement, ils vont rapidement trouver un terrain d'entente : écœurés par la lenteur de l'enquête, Ike et Buddy Lee décident de se retrousser les manches, quoi qu'il leur en coûte. Ils "prétendaient agir au nom de la justice, mais c'était un mensonge. Il s'agissait purement et simplement de vengeance. Or l'expérience, que ce soit en prison ou au-dehors, lui avait appris que la vengeance n'est jamais sans conséquence". Les voilà lancés à partir des maigres indices dont ils disposent, mais un atout de poids : ce qu'ils ont appris de leurs méfaits passés.

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Ces hommes dangereux avaient tous un point commun: ils dégageaient une énergie sombre alimentée par une détermination inflexible, conjuguée à une capacité innée à se foutre totalement des conséquences de leurs actes.

De ce scénario mené à un train d'enfer, qui inclut quelques scènes ultra-violentes, on veut surtout retenir la tendresse que S.A. Cosby a pour ses personnages, des êtres complexes jamais caricaturaux. Avec ce duo improbable, l'auteur des Routes oubliées (2022) propose un point de vue intéressant et nuancé sur le racisme et l'homophobie. Mais La colère est surtout une saisissante plongée dans une région où tout le monde a voté pour Trump, où l'on peut acheter une arme au supermarché du coin, où de terrifiants gangs sèment la peur et la mort. Enfin, c'est encore une exploration incisive des mécanismes de la violence - dont l'un des principaux carburants n'est autre que la colère - et de son plus sombre versant, la vengeance. Assumée ici sans œillères. "On a tendance à voir la vengeance comme quelque chose de noble, de légitime, mais en vérité, c'est juste de la haine déguisée."

Des épreuves de la vie au chemin escarpé vers une forme de rédemption, La colère est un appel à la tolérance, telle une chance qu'il faut saisir avant qu'il ne soit trop tard. Porté par autant de désarroi que de générosité, ce deuxième roman signé S.A. Cosby est en cours d'adaptation par la Paramount.

--> ★ ★ ★ S.A. Cosby | La colère | roman | traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Szczeciner | Sonatine, 365 pp., 23 €, numérique 18 €

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