Jens Christian Grøndahl excelle à sonder les bruits du cœur

Un recueil de six textes vient compléter une œuvre exigeante et toujours fascinante.

Un PDG a disparu. On n'a retrouvé que ses chaussures sur une plage, ce qui laisse penser à un suicide.
Un PDG a disparu. On n'a retrouvé que ses chaussures sur une plage, ce qui laisse penser à un suicide. ©Copyright (c) 2018 Black Salmon/Shutterstock. No use without permission.

De Bruits du cœur aux Portes de Fer, Jens Christian Grøndahl (Copenhague, 1959) a tissé une œuvre exigeante et fascinante. De son écriture racée, il ne cesse de disséquer la parentalité, d'interroger la mémoire et le passé - lui qui considère le souvenir comme "un lieu vivant, un paysage en mouvement et en mutation" -, d'éclairer le malentendu que l'on peut être pour soi et que l'on est forcément pour les autres, de démasquer la liberté, de questionner le poids de nos choix sur notre propre destinée. C'est en peintre impressionniste, toujours aussi maître de son geste, qu'il revient avec Les jours sont comme l'herbe, un recueil de six novellas - genre hybride entre la nouvelle et le roman.

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Il n’a jamais été question de prendre une place vide. Les places vides étaient vénérées, et la vie a continué ainsi.

Déjà à l'œuvre dans Virginia et dans Quelle n'est pas ma joie, la forme plus courte permet de saisir un moment vérité comme d'offrir une intensité à des histoires dont le potentiel aurait pu être développé plus amplement. Un réel sentiment d'urgence suinte d'ailleurs de l'écriture des six textes ici réunis, dont les contours varient pour épouser au plus près le ressenti de personnages pris au piège des élans et/ou contradictions de leur cœur autant que des choix qu'ils ont posés en toute conscience.

Engagement

L'auteur situe Les jours sont comme l'herbe, qui donne au recueil son titre, à Skagen au temps de l'occupation allemande. Après la mort de son père, Lars affronte seul son désarroi, sa mère et sa sœur s'étant repliées dans leur foi profonde. Au moment de la Libération, une question délicate se pose : faut-il aider les civils allemands qui se sont réfugiés à Skagen sans avoir participé à aucun acte de guerre ? Lorsqu'il rencontre Heinrich, guère plus âgé que lui, l'adolescent n'hésite pas à aider le fuyard. Jusqu'à l'installer chez lui, avec la complicité de sa mère et de sa sœur.

La critique des "Portes de Fer"

C'est aussi l'engagement et la résistance d'un adolescent qui est au cœur de Villa Ada. Francesco a quinze ans quand il quitte le domicile familial. L'histoire nous est ici racontée du point de vue du père, qui sait son mariage en sursis. L'urgence de la situation ressoude néanmoins provisoirement le couple qui peine à comprendre le choix de Francesco. Installé dans un coin reculé de Rome, ce dernier a pris la tête d'un rassemblement en faveur des migrants, ce qui ébranle son père au-delà de ce qu'il veut bien admettre. "J'ai saisi qu'il ne faut jamais se demander si c'était utile. C'est ça, notre seul espoir : ne jamais se poser la question. C'est notre seul espoir face au découragement."

Émancipation

Célèbre actrice danoise fictive, Edith Wengler contacte un jour Jens Christian Grøndahl pour lui dire tout le bien qu'elle pense de Quelle n'est pas ma joie. Au grand étonnement de l'écrivain, elle ouvre la porte à une possible rencontre. Qui donnera lieu aux confidences sur laquelle se base cette biographie. Edith Wengler est l'histoire d'une émancipation autant que de l'incertaine quête de l'âme sœur.

L'écrivain danois Jens Christian Grondahl.
L'écrivain danois Jens Christian Grondahl. ©Robin Skjoldborg

De disparition, il est encore question dans Je suis la mer, même s'il s'agit ici de celle du PDG d'une grande entreprise. Tout laisse à penser au suicide, mais le policier chargé de l'enquête, chamboulé par le récent divorce qu'il n'a pas souhaité, n'en est pas totalement convaincu.

Hiverner en été met en scène la difficile relation entre une mère (veuve) et sa fille, devenue elle-même mère depuis peu. Déjà malmené, leur lien va se trouver mis à l'épreuve au moment où la mère, juge d'un pôle financier, s'apprête à inculper le beau-père de sa fille pour fraudes.

Enfin Adieu voit une jeune pasteure accompagner une jeune veuve qui vient de perdre son mari soldat, tué en Afghanistan.

Émancipation d’un milieu modeste, disparition, suicide et temps qui passe sont les terrains d’exploration d’un Jens Christian Grøndahl qui n’a pas son pareil pour sonder les bruits du cœur et dresser des portraits prodigieusement délicats de personnages confrontés aux conséquences de leurs choix. Avec, en filigrane, l’idée que le monde appartient aux jeunes. Leur témérité est éclatante en regard des calculs maladroits, quand ils ne sont pas spécieux, des adultes.

--> ★ ★ ★ ★ Jens Christian Grøndahl | Les jours sont comme l'herbe | Novellas | traduit du danois par Alain Gnaedig, Gallimard, 351 pp. 24 €, numérique 17 €

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