Pour lutter contre l’obscurantisme et pour la vérité
Taha Siddiqui, journaliste pakistanais en exil, livre son parcours avec humour.
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/TB6RBRRB7ZFTLE2HFN72AKZUV4.png)
Publié le 25-05-2023 à 13h00
:focal(485x250:495x240)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/BXSJKZZ525HOJCPGSZ5KDLQXYQ.jpg)
Taha Siddiqui n’est pas scénariste. Il n’a pas grandi en dévorant des bandes dessinées, interdites chez lui, et il était loin de penser, il y a quelques années encore, qu’il pourrait un jour déposer ses bagages à Paris.
Taha Siddiqui est journaliste pakistanais. Né dans une famille aimante qui a mis le cap, pour des raisons économiques, sur Djeddah en Arabie Saoudite.
Au fil des mois, son père va se radicaliser. À la maison, les interdits vont devenir légion. Mais Taha va décrocher le droit d'entrer à l'université au Pakistan. Le début d'une trajectoire qui va inexorablement l'amener à fuir son pays. "Je n'ai pas cherché à partir", explique en anglais Taha Siddiqui. "Mon français n'est pas encore assez bon", lâche-t-il, avec un sourire en coin, dans la langue de Molière.
Mentir pour grandir
Les études terminées, Taha n’a qu’une envie, devenir journaliste. Il va atteindre son objectif en étant obligé de mentir à sa famille (surtout son père) qui envisageait une autre carrière pour son aîné.
Parallèlement, Taha va rapidement comprendre que le Pakistan n’est pas un pays qui aime ceux qui ne se contentent pas des vérités que distille l’armée au pouvoir.
Mais l’homme, prix Albert Londres en 2014, est têtu. Il veut exposer la vérité. L’attentat mortel contre la candidate Benazir Bhutto sera une des dates importantes dans son parcours professionnel. La version officielle de cet attentat ne le satisfait pas. Il se promet d’enquêter.
Le pouvoir le prend en grippe, les talibans tentent même de l'enlever en plein jour à Islamabad. Il parviendra à leur échapper in extremis. "Je ne m'y attendais pas du tout, explique-t-il. Les talibans ne se permettaient pas de commettre de telles attaques à Islamabad. On entendait parler d'opérations de ce genre dans le Balouchistan mais pas dans la capitale".
Sa rencontre, quelque temps plus tôt avec une équipe de journalistes français, lui facilite le départ et, surtout, l’accueil à Paris où il débarque en famille en février 2018.
Un café pour les dissidents
Là, il va créer un endroit baptisé Dissident Café. "Un vrai café où n'importe qui peut simplement prendre un verre. Je voudrais un endroit où tous les dissidents du monde qui sont de passage à Paris puissent venir pour parler de leur situation", explique le scénariste qui, en un peu plus de 250 pages bien rythmées (grâce à la patte inspirée et presque cartoonesque d'Hubert Maury), balance 35 ans de sa vie, de l'évolution de sa famille et de la dérive d'un pays tombé entre les mains d'un pouvoir militaire qui a appris à vivre avec les religieux radicaux. Un consensus entre deux mondes a priori éloignés qui permet aux deux camps de se partager le pouvoir.
"Quand je suis parti, tout le monde me disait de ne pas le faire. Aujourd'hui, on me donne raison, la situation se détériore sans cesse. Tout le monde a compris que les militaires détiennent le vrai pouvoir et qu'ils ne le lâcheront jamais. C'est une démocratie de papier. Un régime qui se radicalise où les voix discordantes disparaissent sans laisser de traces".
Taha Siddiqui évoque son parcours avec une belle dose d'humour "nécessaire face à ce régime" et de respect pour la religion et les Pakistanais. "Je ne suis pas Salman Rushdie, je ne cherche pas une fatwa. J'essaie d'être respectueux vis-à-vis de la religion. Mon père a sa logique. Ma mère est devenue plus ouverte, je pense qu'elle me comprend. J'aimerais qu'elle puisse voir cette bande dessinée. Il n'y a pas de traduction prévue et la BD n'est la bienvenue ni au Pakistan ni en Arabie Saoudite. Quand on m'a évoqué le fait de faire une biographie, je trouvais ça un peu prétentieux. Progressivement, en repassant en revue mon parcours, j'ai imaginé quelque chose de très visuel. Du coup, ce support devenait logique. Mon fils, qui a dix ans, a pu la lire. J'aurais aimé pouvoir avoir de tels livres quand j'étais gamin. C'était une belle expérience pour moi, une belle rencontre avec Hubert Maury et, depuis la sortie du livre, de belles rencontres avec des lecteurs curieux".
--> ★ ★ ★ Taha Siddiqui et Hubert Maury | Dissident club | Bande dessinée | Glénat, 264 pp. 29 €, numérique 21 €