Une femme libre à Paris à la veille de 1789
Mathieu da Vinha retrace la vie surprenante de la marquise de Jaucourt, fille d’un valet de chambre du Roi.
Publié le 26-05-2023 à 17h00
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Plus de vingt ans que Mathieu da Vinha s’intéresse aux valets de chambre des rois de France, en particulier les Bontemps, entrés dans cette charge en 1643 sous Louis XIII, et dont le deuxième du nom, Alexandre, jouit d’un crédit considérable sous Louis XIV. Un siècle plus tard, Louis Pierre Dominique, né en 1738, cinquième du nom, était même le filleul de Louis XV. Il était, en outre, le "capitaine" du palais des Tuileries à Paris. Et de ce fait fort riche.
S'intéressant à la dynastie Bontemps, Mathieu da Vinha, directeur scientifique du Centre de recherches du Château de Versailles, s'est laissé fasciner par la fille de Louis Pierre, Marie Charlotte Louise Perrette, née en 1761, en qui il dit voir une parfaite illustration du célèbre propos de Talleyrand disant vers 1830 au ministre Guizot : "Qui n'a pas vécu dans les années voisines de 1789 ne sait pas ce que c'est que le plaisir de vivre !". Notons- le : il n'a pas dit le "bonheur", ni la "douceur", mais le "plaisir" !
Des mariages d’argent
À la fin du XVIIIe siècle, en France, les alliances matrimoniales de la haute société mêlent l'aristocratie de Cour, la haute finance et le monde des serviteurs royaux. Explication : "Les mariages dans le milieu curial ouvrent à des financiers, qui ne sont pas bien venus à la Cour et y sont même méprisés, des perspectives qu'ils sont prêts à payer à prix d'or, l'investissement assurant à coup sûr un bon rendement, voire un accès privilégié au souverain".
Ce fut le cas du père de notre héroïne, qui épousa la fille du riche financier Tessier. Et ce fut le cas, en sens inverse, de sa fille Marie Charlotte que l'on maria, en 1778, au comte Claude Louis de la Châtre (1745-1824), membre d'une des plus vieilles familles de France, dont la dot devait rétablir les finances. Des contemporains, tel notre prince de Ligne, s'interrogeaient de plus en plus sur ces mariages arrangés - alors même que l'Église, au Concile de Trente, avait reconnu aux enfants le droit de se marier sans le consentement de leurs parents (décret "Tamset", 1563). Mais, écrit un contemporain, "il est peu de nos meilleures familles qui ne soient souillées par le sang impur, mais doré, de nos financiers".
Fidèle quand elle fut amoureuse
La nouvelle comtesse de la Châtre, qui n'avait pas 17 ans à son mariage, se revencha vite : elle devint la maîtresse d'un jeune abbé de 21 ans, pas encore ordonné prêtre, Talleyrand ! Dans les années suivantes, un témoin notera que "Mme de la Châtre n'est pas d'une austérité très imposante". De fait, note son biographe, la fin du XVIIIe siècle ouvrit la voie à une certaine "libération" des femmes, qui n'hésitaient plus à vivre des relations extraconjugales et où, comme l'écrivit un témoin de l'époque, "adultère joua le rôle correcteur d'une institution matrimoniale indifférente à la volonté des contractants".
En 1783, toutefois, Mme de la Châtre tomba follement amoureuse du marquis Arnail François de Jaucourt (1757-1852) d’une vieille famille protestante. Et lui d’elle. Ils ne se quittèrent plus mais durent attendre 1799 pour que, le divorce ayant été institué (1792), elle l’obtienne de son mari la Châtre. Elle devint alors la marquise de Jaucourt.
Entre-temps, elle aura vécu les espoirs soulevés par la prise de la Bastille en 1789, les affres de la Terreur, l’arrestation de Jaucourt, la fuite en Suisse où elle fut accueillie par Mme de Staël, enfin l’élévation de son mari à des postes importants sous le Directoire et l’Empire (il figure dans le tableau du sacre de Napoléon par le peintre David). Grâce à la protection de Talleyrand qui n’oublia jamais la petite amante de sa jeunesse ? À travers la marquise de Jaucourt, Mathieu da Vinha recrée la fin d’un monde et les débuts d’une nouvelle époque.
--> ★ ★ ★ Mathieu da Vinha | Le plaisir de vivre | Biographie | Tallandier, 352 pp., 24,50 €