Barcelone, Madrid, Sao Paulo, Buenos Aires… Primavera Sound ou la globalisation des festivals
Le festival espagnol à l’affiche colossale se décline désormais en sept éditions à travers le monde.
- Publié le 30-05-2023 à 13h07
- Mis à jour le 23-06-2023 à 16h03
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Demande en hausse, offre pléthorique, optimisation des coûts… Les festivals ont toutes les bonnes raisons du monde d’étendre leurs activités, depuis quelques années. La plupart des événements qui étaient organisés sur une ou deux journées au début des années 2000, se déclinent désormais sur trois (Esperanzah, Couleur Café), quatre (Rock Werchter, Pukkelpop) ou cinq jours (Dour).
Certains d’entre eux y greffent des événements “pop up”, soit des journées de festival distinctes permettant d’isoler une ou deux têtes d’affiche particulièrement rassembleuses, comme le fait Rock Werchter avec ses éditions “Classic” et “Boutique”. Mais cette évolution organique et prévisible d’un point de vue commercial, n’est que la pointe de l’iceberg d’un secteur à l’expansion vertigineuse.
Outre ses deux week-ends belges, Tomorrowland se délocalise désormais au Brésil et dans les montagnes françaises de l’Alpe d’Huez. Le très tendance et surcoté festival américain de Coachella reproduit son affiche à l’identique, deux week-ends successifs, après avoir échoué à le décliner dans d’autres États américains. Et il y a plus impressionnant. Conçu en 2001 comme un événement alternatif dévolu à l’indie rock au cœur de Barcelone, le festival Primavera Sound s’est offert un petit frère à Porto (Portugal) en 2012, puis d’autres à Santiago (Chili), Buenos Aires (Argentine), Sao Paulo (Brésil) et Los Angeles (États-Unis) en 2022.
Tous n’ont pas répondu aux attentes, Santiago et LA ne reviendront pas cet été, mais ils sont remplacés par Madrid, Asuncion (Paraguay) et Bogota (Colombie). Ce qui porte à sept le nombre d’éditions du festival, sur deux continents différents, avec des affiches plus ou moins similaires selon les cas.
”Primavera est né il y a vingt ans parce que quatre amis mélomanes voulaient faire venir en Espagne des artistes qu’aucun promoteur ne faisait venir” nous explique le directeur de la Communication du festival, Joan Pons. Deux décennies plus tard, ils exportent ces artistes dans le monde entier. “Avec la data, vous savez très précisément où se situe votre audience” poursuit Joan Pons. “Depuis quelques années, nous avons constaté que de plus en plus de nos festivaliers venaient d’Amérique latine. Ce qui signifie qu’il y avait assez clairement une demande pour un festival comme le nôtre sur place. Alors, comme pour Barcelone en 2001, on y a programmé des artistes qui n’y jouaient pas encore. Le processus est assez naturel, nous sommes un festival urbain, le concept est assez simple à exporter”.
Aussi intelligente soit-elle, cette “franchisation” des festivals ne risque-t-elle pas de dénaturer le paysage culturel ? “Nous ne sommes pas une franchise” répond Joan Pons. “Nous ne sommes pas Starbucks. Chaque édition s’adapte à la réalité de sa ville, notamment en y programmant les artistes locaux”.
L’autre argument avancé par les organisateurs du festival catalan est pragmatique : devenir son propre tour-opérateur a d’énormes avantages dans le contexte concurrentiel actuel. “D’année en année, nous sentions bien que notre pouvoir d’attraction auprès des artistes s’affaiblissait si on ne proposait qu’une date européenne” explique Joan Pons. “Si vous proposez trois prestations dans trois grandes villes, en une semaine (en l’occurrence Barcelone, Madrid et Porto, les éditions sud-américaines ayant lieu plus tard dans l’année, NdlR) les choses sont tout à fait différentes. Notre festival a lieu fin mai-début juin, légèrement en dehors ou en tout début de saison, et nous faisons venir beaucoup de groupes qui ne tournent pas massivement, à côté de nos têtes d’affiche”.
L’affiche, justement est monstrueuse. Blur, Depeche Mode, Kendrick Lamar, Rosalia, Halsey et Calvin Harris trustent les premiers rangs. Darkside, Le Tigre, NxWxrries, Turnstile, Central See, Loyle Carner, Pusha T, Sparks, Fred Again, The Moldy Peaches, Christine and The Queens, Maneskin, FKA Twigs, et Charlotte De Witte suivent en embuscade. Mais ce sont surtout les “petits” noms qui surprennent.
Les amateurs de rock indie apprécieront particulièrement la venue de Swans, Built To Spill, Ezra Furman, The Mars Volta, Death Grips, Nation Of Language, Yard Act, Gilla Band et bien d’autres. Pinkpantheress, Sevdaliza, Gabriels, Sudan Archive, Channel Tres, Jockstrap et Yves Tumor assurent niveau hype. Sans oublier Folamour, Hudson Mohawke, Ascendant Vierge, Four Tet, VTSS B2B LSDXOXO, Overmono, et des dizaines d’autres pour le volet électronique.
Le “petit” festival indie est-il devenu trop grand, au risque de gagner en puissance ce qu’il perd en charme et en identité ? “Nous sommes devenus plus gros parce que la demande était là” estime Joan Pons. “Si vous avez chaque année une liste d’attendre monstrueuse, ça engendre de la frustration. Alors oui, nous proposons des artistes ultra-populaires comme Rosalia, mais aussi beaucoup d’artistes qui collent depuis toujours à notre identité comme Shellac, John Cale, Eddie Palmieri ou Laurie Anderson. Pareil pour Le Tigre, dont nous essayons de faire venir Kathleen Hanna (Bikini Kill) depuis des années”.
L’édition 2022 de Barcelone fut marquée par quelques petits problèmes d’approvisionnement et des files kilométriques au bar le premier jour. “C’est vrai, mais dès la fin du premier jour, nous avons pris l’ampleur du problème et nous l’avons corrigé. En temps normal, il faut quelques heures après l’ouverture des portes pour que le public atteigne sa taille maximale. L’été dernier, tout le monde est arrivé très tôt, en même temps, et aux mêmes endroits. Il nous a fallu un peu de temps pour gérer ça”.
