Qui du poète ou du boxeur aura de la belle les faveurs ?
Un délicieux récit d’un autre temps, d’une autre époque. Le Chili des années 60.
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- Publié le 01-06-2023 à 07h00
Il n'en est pas à son premier roman, loin de là. Hernán Rivera Letelier a publié nombre d'ouvrages depuis 1997, traduits dans plus de vingt et une langues. L'auteur chilien (Talca, 1950) a, en outre, été couronné de plusieurs prix. Si L'autodidacte, le boxeur et la reine de printemps lui permet d'élargir son lectorat, on ne pourra que s'en réjouir. Aux yeux de son éditrice, Anne-Marie Métailié, le nouveau roman de Letelier qui sort ces jours-ci est "une bonne entrée dans son œuvre pour le lecteur ou la lectrice qui ne l'aurait pas encore lu" ; en d'autres termes "un condensé de toute ce qu'il a pu écrire par le passé".
Le livre, dont le titre espagnol se réduit à El autodidacta raconte un peu - beaucoup ? - la propre histoire de Hernán Rivera Letelier. Qu'il relate sous l'identité d'Eleazar Luna, ouvrier dans l'une des dernières mines de salpêtre du désert d'Atacama.
Une librairie sans livres
La première phrase du roman est on ne peut plus apéritive. "Dans l'unique librairie du campement il y avait de tout sauf des livres". Mais un jour, alors qu'Eleazar jette un œil distrait à la vitrine, il y distingue un ouvrage qui n'est "ni un livre de cuisine, ni un recueil de chansons" mais… une anthologie de la poésie chilienne contemporaine. "J'avais commencé à écrire des poèmes dans le campement où j'avais grandi et j'en étais à l'étape du premier amour" confie candidement le protagoniste. Petit à petit, les effluves d'un magnifique éloge du pouvoir des lettres - littérature et, plus spécifiquement, la poésie - se répandent de paragraphe en paragraphe.
Après la librairie, le narrateur ne tarde pas à apprendre que la compagnie salpétrière bénéficie d’une bibliothèque publique.
Hernán Rivera Letelier possède un indéniable talent de conteur. C'est un bonheur de lire sous sa plume les pérégrinations d'Eleazar Luna, jeune homme qui observe le monde d'un œil parfois ingénu. Même si l'amoureux des lettres se rend vite compte que dans un milieu de "gaillards venus du Sud, aux mains dures comme des charrues, tous des braves types mais la plupart sans éducation, écrire des vers était un truc de femmes." Un jour débarque à la mine Rosario Fierro. Lui, sa passion c'est la boxe. Entre la force (le boxeur) et la jugeote (le poète), pour qui va succomber la belle Leda ?
Tout va se jouer à la Fête du Printemps (avec élection de la reine, défilé de chars, bals masqués et combat de boxe). Un autre temps, une autre époque : les années 60 dans une petite ville chilienne où, même si la vie peut y être particulièrement pénible, l’on goûte encore à la simplicité des choses. Suranné. Savoureux.
--> ★ ★ ★ Hernán Rivera Letelier | L'autodidacte, le boxeur et la reine du printemps | Roman | traduit de l'espagnol (Chili) par François Gaudry, Métailié, 104 pp., 16,50 €, numérique 10 €
EXTRAIT
"En état de grâce, je passais jour et nuit à écrire, biffant, corrigeant, polissant jusqu'au délire chaque vers, chaque strophe, chaque métaphore. Mon poème tenait plus du psaume d'amour que d'un chant à la reine. [...] Je me levais en pleine nuit pour changer un adjectif parce que je venais d'en rêver un meilleur, pour revenir au premier le lendemain matin."