Contraintes, mariage, argent et sexe
Par Tahar Ben Jelloun, une histoire d’amour d’aujourd’hui dans une société traditionnelle qui rêve de modernité.
- Publié le 07-06-2023 à 07h00
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Ils sont beaux, riches, jeunes et amoureux. Et, bientôt, ils se marient avec l’approbation des parents. Il est médecin d’origine modeste. Elle est pharmacienne, de famille riche. Il voudrait une cérémonie romantique et intime. Elle, souhaitant répondre aux désirs de ses parents, le convainc de la nécessité d’une fête somptueuse et inoubliable pour les nombreux invités conviés.
Avec Les amants de Casablanca, Tahar Ben Jelloun commence son dernier roman là où se terminent généralement les contes de fées. Dans ce couple, l'argent sera la première contrariété après deux années sans nuages. Ambitieuse et en possédant davantage que lui, elle s'y prend une autorité qui le dépasse. On comprend tout de suite que tout ne va pas se passer comme attendu entre ces deux êtres "unis pour la vie". La naissance de deux enfants, une fille, un garçon ne va pas empêcher l'avenir de s'assombrir avec son lot de souffrances et d'incompréhensions. L'ennui, les habitudes, les mentalités, les contraintes sociales… Elle étouffe et retrouve le désir dans les bras d'un amant expérimenté. Lui est jaloux, furieux, et ne comprenant rien aux reproches qu'elle lui fait, s'interroge sur : "C'est quoi être un homme ?".
Une impudeur presque candide
Ils divorcent, ignorant le scandale. Chacun refait sa vie de son côté, ne pouvant tout à fait oublier l’autre… Comment peut se terminer une telle histoire ? Ben Jelloun a son idée, non moins hypocrite que les hypocrisies dénoncées à travers une histoire romanesque mais pas très originale qui est surtout une réflexion sur le poids des contraintes oblitérant sans nécessité la vie et la liberté des gens et se révélant d’autant plus grandes que la politique se mêle au religieux.
Si ses considérations sont assez générales, c'est surtout la société marocaine, à travers Casablanca, qui est dans son viseur. Métropole aux mille visages, elle est le cœur du pays avec ses citoyens qui, rêvant de modernité, se veulent "libres et libérés". C'est une ville où l'argent se montre face à une pauvreté humiliée jusque dans ses diplômés sans travail, où la bourgeoisie dorée influence la vie de ses enfants, particulièrement des filles qui font de la résistance, où les apparences doivent être à tout prix sauvegardées, où les choses du sexe ne se nomment pas tandis qu'à son tour, Ben Jelloun fait de la résistance en les décrivant avec une impudeur presque candide… Outre ces idées qui ont traversé la plupart de ses romans, l'écrivain se livre à de brèves incursions sur le sort de la Palestine, la consommation débridée, le manque d'éducation des enfants, les menaces de la pédophilie, l'amour passion qu'il installe en face-à-face de l'amour raisonnable…
Une histoire banale dans le monde d’aujourd’hui pour une réflexion sur la vie d’une société pleine de contradictions et de complexités.
--> ★ ★ ★ Les amants de Casablanca | Tahar Ben Jelloun | Roman | Gallimard, 335 pp., 21€, numérique 15 €
EXTRAIT
“Il y a des choses qui ne se disent pas, qui ne se montrent pas, dont on ne parle pas.”