Tous à poils !
Le musée des Arts décos à Paris coupe les cheveux en quatre pour en comprendre la symbolique. Une expo dont le propos pourrait nous paraître échevelé. Ce serait méconnaître le pouvoir de notre pilosité.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/7fa700b2-2aff-43a7-adff-285a7df2c98b.jpg)
- Publié le 07-06-2023 à 17h03
- Mis à jour le 07-06-2023 à 17h06
:focal(2712x1519:2722x1509)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/WGZPTAUNABECZDJ47CQR3M4WWI.jpg)
Tous à poils. Et ceci n’est pas une invitation à enlever vos vêtements. Bah non. L’expo qui se donne au musée des Arts décoratifs à Paris, révèle la question capillaire comme langage sur notre époque. Et, surtout, le sujet concerne autant les hommes que les femmes. Pas question de réduire Des cheveux et des poils à des potins de salon de coiffure.

Et on commence par vous dire que le cheveu a un pouvoir, en lui-même. Pouvoir qu’il faut sublimer, ou maîtriser. Dans la Bible, pour calmer Samson, Dalila sa maîtresse, lui taille ses tresses pendant qu’il pionce, un geste qui lui hôte sa puissance légendaire. À travers l’histoire, entre garçons et filles, c’est à celui qui tire les nattes de l’autre.
Denis Bruna, conservateur en chef au département Mode et Textile, et commissaire de ladite expo, le rappelle. Si les femmes ont longtemps porté un voile en Occident, c’est sans avoir le choix, et pour obtempérer à la norme sociale et religieuse. Il nous donne à relire la première épître aux Corinthiens de l’apôtre Paul qui légifère le capillaire dans les temps chrétiens : “Une femme doit se couvrir pour prier.” “Avoir les cheveux longs”. Et, “ayant été créée pour l’homme”, elle doit porter sur sa tête “une marque d’autorité”.
"Toute femme qui prie ou qui prophétise, la tête non voilée, déshonore son chef. Car si une femme n’est pas voilée, qu’elle se coupe aussi les cheveux. Or, s’il est honteux pour une femme d’avoir les cheveux coupés ou d’être rasée, qu’elle se voile. (...) L'homme ne doit pas se couvrir la tête, puisqu’il est l’image et la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l’homme. C’est pourquoi la femme, à cause des anges, doit avoir sur la tête une marque de l’autorité dont elle dépend (...) Jugez-en vous-mêmes : est-il convenable qu’une femme prie Dieu sans être voilée ?"
C’est ainsi que les représentations féminines du Moyen-Âge et de l’époque moderne ne donnent jamais à voir des femmes en cheveux, sauf, peut-être, quand elles ne sont pas des filles bien. Car le poil a quelque chose de retors, voire de sexuel. Et donc, moins on le voit, mieux on se porte. Enfin, ça dépend des genres.
Salon pour hommes
Si les hommes nus de la statuaire grecque sont glabres comme de jeunes beaux (sont-ils encore préados), la pilosité s’impose surtout comme marque de la virilité. Apparemment, le poil ferait le bonhomme. Là encore, on n’est pas à un raccourci misogyne près. En 2007, le magazine, Monsieur, réaffirmait l’importance de la mode de la moustache “face à la féminisation des corps masculins”. Ce retour de la barbe et de la moustache en pleine mode hipster avait d’ailleurs fait défaut à l’entreprise Gillette, puisque les mecs ne taillaient plus dans le poil.
Le poil masculin est aussi apanage des séducteurs à la chemise ouverte, incarné par des gars à la gâchette facile – on pense à Sean Connery, alias James Bond, qui se balade, dès qu’il peut virer son toxedo, chemise ouverte torse poil, ou encore à Magnum, grosse moustache et Ferrari rouge. Sur les pochettes du 45 tours de Saturday Night Fever, les Bee Gees déballent sous leurs médailles de baptême, leurs paillassons, faisant prétendument fantasmer les filles.

On a tendance à oublier également que les militaires – avant que le port du casque, rendu obligatoire au début de la Première Guerre mondiale, leur intime d’avoir la boule à zéro – faisaient les malins avec leur tignasse, à la Samson. Les hussards et leurs tresses, les gardes suisses, en favoris. Au XVIIIe siècle, on bataille en perruque, pas fastoche à gérer en cas d’assaut majeur, on imagine mal désormais les G.I. débarquer sur les plages de Normandie en 44 en se dégageant le front de Ken…
Les filles aussi sont poilues
Plus difficile, cependant, de parler du poil au féminin, puisqu’il est tabou. Repensez à la scène mythique Titanic : Leonardo DiCaprio crayonne au fusain le corps nu de Kate Winslet, et, ô curiosité, si Leo ajoute du poil aux aisselles de son dessin, Kate W. est pourtant, pour le téléspectateur tout à fait épilée.

Le poil, chez les femmes, est immédiatement corrélé au sale, au négligé, ou alors à la monstruosité – pensez au traitement des femmes à barbes, considérées comme bêtes de cirque, alors qu’atteintes de maladie telles que l’hypertrichose ou l’hirsutisme.
Faire l’histoire de la pilosité féminine, c’est surtout relever, selon Denis Bruna, notre commissaire d’expo, les différentes méthodes pour les retirer. De la chaux, en passant par le rasoir, la cire chaude (”Aïe !”), le miel (”aïe, aïe !”), et désormais les rayons laser, le poil des filles ne leur appartient pas. Les représentations féminines procèdent à des épilations intempestives, les odalisques sont lisses, les Vénus douces, et il faut attendre le réaliste Gustave Courbet et son Origine du Monde (1866) , exposé discrètement dans l’expo d’ailleurs, pour ouvrir un chapitre qui peut aller de la mode du ticket de métro aux publicités porno chic de Gucci dans les années 2000.
Du voile occidental au voile oriental
On comprend que le discours sur le cheveu indique la tendance plus ou moins progressiste d’une société. Et de conclure cette expo sur un fait d’actu. En Iran, le port du voile obligatoire pour les femmes de la République Islamique est tout à fait remis en cause. La mort d’une jeune fille kurde, Mahsa Amini, emprisonnée et battue pour un “voile mal porté” en septembre 2022, a jeté le feu aux poudres dans la population, hommes et femmes confondus, et mis fin symboliquement à ce règlement stigmatisant que les Iraniennes n’acceptent plus. Comme un geste d’opposition au régime théocratique, elles ôtent désormais leur voile, voire taillent leur chevelure, symbole traditionnel du deuil en Iran, pour dire la fin d’une entrave à la liberté d’être soi. Et d’être, tout court.

-- > “Des cheveux et des poils”, au musée des Arts Décoratifs, 107 rue de Rivoli, à Paris. Jusqu’au 17 septembre. Fermé le lundi, réservation recommandée. Infos : https://madparis.fr/cheveuxetpoils