Le formidable courage des Iraniennes
À la manière de Nicolas Bouvier, François-Henri Désérable a sillonné un Iran en révolte contre les mollahs.
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- Publié le 08-06-2023 à 07h01
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François-Henri Désérable, 36 ans, a déjà entraîné ses lecteurs sur bien des chemins aussi divers que chaque fois passionnants : à la redécouverte du mathématicien Evariste Galois en 2015, sur les traces de M. Piekielny, personnage de Romain Gary, en 2017, et sur le tir de revolver de Verlaine sur Rimbaud, en 2021.
Cette fois, il nous emmène sur les routes de l'Iran et de ses courageux habitants dans un récit qu'il dédie aux Iraniennes "vent debout cheveux au vent" et à Nicolas Bouvier, le grand écrivain voyageur qui fit ce voyage aux confins de l'Afghanistan et du Pakistan dans un livre merveilleux, L'Usage du monde, paru en 1963, la Bible pour tout voyageur. Le titre de ce récit, L'Usure d'un monde, y fait explicitement référence.
Goût de l'aventure
Parti fin 2022 pour Téhéran, il avait rejeté les pressions des autorités françaises déconseillant fortement de se rendre dans un pays en grande ébullition après le meurtre par la police de Mahsa Amini. Il risquait au mieux l'expulsion rapide, au pire un emprisonnement arbitraire.
Il passa outre. "Par goût de l'aventure, écrit-il, par goût de l'imprévu, par peur aussi de me retrouver un jour dans un Ehpad à me demander ce que j'ai foutu de ma vie, à songer qu'en fait de vie, je me suis contenté d'exister, il m'arrive de faire preuve d'une audace imprudente."
En bus, en stop, en train, il sillonne l'Iran pendant 40 jours, de Téhéran, Kashan, Ispahan, Shiraz jusqu'au Balouchistan via la ville merveilleuse de Yazd. Pour terminer au Kurdistan où finalement il est arrêté par les Gardiens de la révolution et expulsé du pays. Son très beau récit n'est pas une description nouvelle des merveilles d'Ispahan ou de Persépolis, mais une rencontre avec des dizaines d'Iraniens et Iraniennes croisés sur sa route qui, tous sauf un seul, sont violemment contre le régime des mollahs et contre le Guide suprême Ali Khamenei.
La défaite applaudie
Il mêle au rappel de l'histoire récente de l'Iran, de courtes descriptions des paysages et des villes, et des portraits des Iraniens rencontrés. Dans une belle écriture qui ne rejette pas l'humour. De passage à Qom, la ville sainte des chiites, il écrit : "A Qom, ramassez une pierre, lancez-la en l'air : elle retombera sur un turban. Noir, si le mollah est un sayyid, c'est-à-dire s'il descend de la famille du Prophète. Et sinon blanc. Si votre pierre n'est pas retombée sur un turban, c'est qu'elle a échoué sur un tchador."
Il apprend vite à se méfier des bassidji, la milice de Khamenei qui se cache sous des aspects d'Iraniens anodins, et il nous montre comment la population iranienne ne veut plus de ce régime et comment les femmes ont ce courage inouï de l'affronter au quotidien, au péril de leur vie. "Derrière chaque personne qui meurt, battent mille autres cœurs", disent-elles.
Un courage de chaque instant, jusqu'à placarder ce petit texte sur un arbre : "cet arbre est réservé pour pendre un mollah". À l'issue de la victoire des États-Unis sur l'Iran en coupe du monde de football, François-Henri Désérable a vu comment tous les spectateurs, tous des Iraniens réunis dans un café, ont applaudi vivement la défaite de leur pays gouverné par des religieux abhorrés.
Il rend hommage à ce courage fou de tous ces hommes et femmes qui peuvent, sans crier gare, hurler en pleine rue : "Femme, vie, liberté" et "Khamenei assassin".
Nicolas Bouvier avait expliqué qu'un vrai voyage n'existe que si on en rentre transformé. C'est ce qui est arrivé à François-Henri Désérable : "Si l'on voyage, ça n'est pas tant pour s'émerveiller d'autres lieux : c'est pour en revenir avec des yeux différents. Et dilater le temps qui passe : chez soi, les heures nous filent entre les doigts ; en voyage, un seul jour a l'épaisseur d'une semaine, une semaine d'un mois, un mois d'une année, une année d'une vie entière."
--> ★ ★ ★ L'Usure d'un monde. Une traversée de l'Iran | François-Henri Désérable | Récit | Gallimard, collection "Blanche", 160 pp. 16 €, numérique 12 €
EXTRAIT
"Ispahan, c’est faire provision de bleu pour le restant de ses jours. (…) De vieux Ispahanis, l’oeil exténué par tout ce bleu, parvenaient à longer la place Naqsh-e Jahan sans lui prêter le moindre attention. Moi, impossible : je consacrai des heures à la prendre en photos. Si les Gardiens de la révolution m’arrêtaient il fallait leur donner des gages, leur prouver que je n’étais pas venu subvenir la jeunesse iranienne, mais faire du tourisme."