Le prisme déformé des souvenirs d’enfance
Pourquoi n’en garde-t-on que certains, parfois en les enjolivant ? "Mensonges au paradis" de Colombe Schneck.
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- Publié le 08-06-2023 à 21h03
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Des souvenirs d'enfance on en possède tous. Il y a de fortes de chances pour que ceux ou celles qui auront pris la peine d'ouvrir Mensonges au paradis le refermeront bouleversés par ce que ce récit aura ravivé en eux. Que garde notre mémoire de cette période la plus souvent innocente d'une vie ?
Toutes les vacances scolaires, c'est-à-dire deux mois par an, la petite Colombe, qui deviendra grande, les passe, entre ses 6 et 20 ans dans un chalet en Suisse. Une maison qui n'est pas sa maison. "Il est le Home en anglais". Ce chalet "abrite une deuxième vie, une deuxième famille, une deuxième enfance". Tenu par Karl et Anne-Marie Ammann, il est fréquenté par des enfants qui ne passent pas leurs vacances avec leurs parents pour diverses raisons. "Nous ne nous plaignons pas, nous y sommes très heureux."
Héritage familiale
Depuis L'Increvable monsieur Schneck paru chez Stock en 2006, Colombe Schneck (Paris, 1966) n'en finit pas de se pencher sur son histoire familiale - marquée par la Shoah. Mensonges au paradis n'y déroge pas même si ce n'est pas le sujet premier. C'est une étape. Petit à petit, elle s'approche de ce qu'elle cherche. "Combien d'années encore et combien de livres pour atteindre la vérité ?", se demande-t-elle à la fin d'un chapitre. Le passage par une psychanalyse lui a ouvert les yeux sur son enfance double - marquée par un amour sans effusion (celui de ses parents) et un autre chaleureux (au Home). Elle n'en veut pas à ses géniteurs : "Comment en vouloir à une femme qui a été victime entre neuf et quatorze ans des persécutions antisémites ?"
Une histoire sans aspérités ?
L’envie d’un "roman suisse" comme elle le qualifie, celui qui raconterait ses jolies vacances en terre immaculée, lui est venue au retour d’une randonnée qu’elle a effectuée avec une amie dans la vallée abritant ce "Home". Trente ans après y avoir séjourné pour la dernière fois. Alors qu’elle confie à sa sœur Jeanne et à son amie Maxime, seule du Home avec qui elle a préservé un lien, le projet de ce livre, elle déchante. Elle se rend compte qu’elle a gardé du lieu une vision idéalisée ; Jeanne et Maxime lui opposant une autre réalité. Celle de Vava et Patou, enfants de Karl et Anne-Marie, qui ont mal tourné. Le décor bucolique n’était donc pas si idyllique.
Qu'est-ce que mentir?
Alors oui, elle racontera la belle décoration du chalet, la chaleur du bois, les grosses miches de pain à la confiture de myrtille - parce qu'au début, "les souvenirs qui lui reviennent continuent de scintiller" -, mais très vite, elle se rend compte qu'"Écrire [m]'oblige à descendre dans les sous-sols". Au fur et à mesure qu'elle interroge sa mémoire, Colombe Schneck opère des liens, met en perspective des comportements. Il y a une différence entre être élevé à la dure juste pendant les vacances ou toute l'année par ses parents, comme le seront Patou et Vava.
De cette enquête que l’autrice française qui a été journaliste va mener, découle le fait qu’elle ne peut plus transformer ou escamoter certains faits, oublier ce qui ne l’arrange pas ou qui ne colle pas à ce qu’elle souhaite raconter. Qu’est-ce que mentir ? Ne pas dire la vérité ou l’occulter ? Ce livre en développe une pénétrante réflexion.
--> ★★★ Mensonges au paradis | Colombe Schneck | Roman | 172 pp. | Grasset, 18,50 €, numérique 13 €
EXTRAIT
"Le Home, ce sont des gens honnêtes dans un paysage intouché. Je ne voulais pas que ce soit autre chose. Mais, aujourd’hui, je me dis combien cela est étrange que j’aie su me protéger dans certaines situations, et pas dans d’autres qui m’engageaient bien davantage."