Christophe Slagmuylder, nouveau directeur général de Bozar : "La maison doit être un organisme vivant où la performance peut jouer un rôle important"
Première interview du nouveau directeur général de Bozar sur sa vision future et ambitieuse. Il appelle à créer plus de cohérence et de lisibilité dans la programmation.
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- Publié le 01-07-2023 à 07h03
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Tout juste rentré de Vienne où se terminait l’édition 2023 acclamée par la critique et le public, des Wiener Festwochen, la dernière qu’il dirigeait, Christophe Slagmuylder, 56 ans, retrouve cette fois pleinement la direction générale de Bozar.
En novembre dernier, il avait été nommé à ce poste, succédant à Sophie Lauwers, décédée inopinément en mai 2022. Sophie Lauwers avait, elle-même, succédé à Paul Dujardin qui avait dirigé Bozar durant vingt ans.
Après 22 ans à la tête de festivals - le Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles et puis les Wiener Festwochen de Vienne - il revient à Bruxelles, sa ville, pour diriger cette fois une grande maison.
Dans une première interview, à La Libre, il explique ses ambitions pour le Palais des Beaux-Arts.
Votre premier projet est de rendre le toit de Bozar aux Bruxellois.
C’est certes une chose encore modeste, mais c’est symbolique de ce que nous pourrions faire à l’avenir à une plus grande échelle. Et c’est ce que j’ai pu déjà faire dans un temps très limité avec mes équipes. J’ai fait enlever le bar commercial qui était sur la terrasse l’année dernière, pour recréer un lien entre ce qui peut se passer sur le toit et dans les murs de Bozar. Cela a fait du bien à une maison très imposante de démontrer qu’elle peut en quelques semaines à peine inventer encore un nouveau projet. L’idée est simple : j’ai invité le collectif d’architecture Every Island, un bureau typiquement bruxellois, car très international, spécialisé dans les architectures éphémères. Ils ont conçu pour le toit une installation à la fois artistique et fonctionnelle. On procédera en deux phases : du 5 au 21 juillet, ce sera purement un espace public où les Bruxellois et les touristes pourront profiter de la vue (entre le Palais et la cathédrale), se rafraîchir (il y aura un brumisateur) ou pique-niquer. On rouvrira dès le 23 août avec quatre semaines de programmation, sur le toit, avec cette installation. On a invité toute une série de collectifs bruxellois à proposer des films, concerts, performances et rencontres sur le toit. Cela va de workshops durant la journée autour de l’alimentation et du gaspillage alimentaire (en collaboration avec Cultureghem), des concerts et lectures des Midi-minimes, jusqu’à des projets musicaux plus électroniques de la webradio féministe et queer Radio-vacarme et une proposition de 54 Kollektiv pour réfléchir à un toit qui appartienne aux Bruxellois. La dernière semaine du rooftop (13 au 17 septembre) sera très festive, car Bozar donne le coup d’envoi de la saison 23-24 avec une vraie Opening week. On peut s’attendre à plein d’activités artistiques de toutes les disciplines, partout dans la maison, pour tous les publics…
Depuis le départ de Paul Dujardin il n’y avait plus de responsable des expositions. Vous avez opté pour un profil résolument contemporain et international avec Zoë Gray venue du Wiels.
C’est un poste crucial à Bozar. Après une longue recherche, Zoë est apparu comme une évidence. Elle a à la fois une grande curiosité, a travaillé au Wiels, a un grand réseau international et connaît bien Bruxelles. C’est important dans cette grande maison de l’avoir à mes côtés. Son arrivée ne veut pas dire qu’il y aura nécessairement plus d’art contemporain, mais qu’on fera ce que Bozar a toujours fait : relier le passé, le présent et l’avenir. La beauté de Bozar, c’est aussi son lien avec son histoire, avec celle de l’Art moderne, avec l’histoire de l’art belge durant un siècle. Notre programmation doit être contemporaine, tournée vers l’avenir, mais en conservant un vrai lien avec le passé. Zoë le fera.
Quelle est votre vision de Bozar ?
J’ai beaucoup de respect pour mes prédécesseurs et notamment Paul Dujardin qui a fait de Bozar quelque chose d’impressionnant, en particulier en arts visuels et en musique. Ma vision est celle d’un riche passé mais avec la question de ce qu’on veut en faire. Il faut redéfinir Bozar comme une maison d’art. Les dernières années, il y a eu une accumulation de projets avec parfois un équilibre à questionner entre des projets initiés par Bozar et d’autres en accueil ou location. Notre financement rendra toujours nécessaire ces locations et accueils, mais il est urgent de redéfinir le projet de Bozar lui-même et de lui redonner de la cohérence et de la visibilité. De lui donner aussi les moyens pour que ce soit possible.
Sophie Lauwers appelait à “trouver une nouvelle cohérence d’ensemble” ?
Oui. Je dis toujours à mes programmateurs/trices : il y a plein de choses intéressantes mais elles sont parfois noyées dans la masse. Comment amener de la lisibilité, tout en restant un lieu ouvert avec une grande diversité de propositions. Cette diversité ne veut pas dire fourre-tout, pot-pourri, tout et n’importe quoi. On peut être à la fois divers et avoir une cohérence. J’aimerais pour cela travailler sous forme de cycles, de programmes récurrents, au sein de la saison, qui soient beaucoup plus identifiables par le public. Avoir davantage de récurrence, moins de one-shots et d’événements qui s’accumulent, avoir des lignes qui donnent des rendez-vous, qui dialoguent et qui racontent quelque chose. Ce sera un gros travail, mais pour la saison 2024-25. Car je viens seulement d’arriver. Zoë Gray arrivera en septembre. La saison 2023-24 est déjà fixée, avec de très beaux rendez-vous : une grande rétrospective Antoni Tapies en septembre et trois moments forts au printemps (le surréalisme en Belgique, grande expo Chantal Akerman, et James Ensor). J’ai cependant déjà dégagé des budgets pour pouvoir commencer peut-être plus tôt certains de ces cycles.
Que signifie cette notion d’art vivant que vous voulez amener au cœur de Bozar ?
Cela ne signifie pas nécessairement le théâtre, car il y a déjà beaucoup de lieux qui le font et qui sont équipés pour le faire. Vivant, ça veut dire animer ce lieu avec de la circulation entre les disciplines, créer des dialogues entre les programmes. On parle encore dans la maison de “silos”. Comment alors travailler ensemble ? J’aimerais avoir des grands invités sur une saison qui pourraient nous aider à jeter des ponts entre la musique, les arts visuels, … La maison doit être un organisme vivant où la performance peut jouer un rôle important. Comment, dans ce cadre, mieux exploiter des espaces comme le hall Horta avec un programme régulier de performances, comment déplacer la musique dans les salles d’expos, ou demander à un plasticien de mettre un concert en espace. Vivant, c’est créer ces circulations.
Les dernières années furent difficiles.
Il y a urgence à remotiver, car la maison a été blessée par un excès d’activités, l’incendie sur le toit, le covid, le décès de Sophie Lauwers. Une des motivations du CA en me nommant a été aussi de choisir quelqu’un qui a conduit de nombreux projets rassembleurs. Au Kunsten, mon travail a toujours été de connecter des personnes autour de projets communs. Mon grand défi est aussi de faire de Bozar, une maison qui travaille ensemble, avec une équipe autour de moi et des figures clés dont certaines doivent être encore choisies.
Comment voyez-vous vos liens avec Kanal, Flagey, le Mont des Arts, le musée des Beaux-Arts qui fermera longtemps pour travaux (vous avez les salles, ils ont les collections) ….
Chaque cas est différent, mais ce qui est commun est qu’on a tout à gagner à travailler ensemble et à ne rien se cacher. Il faut une vraie transparence. Avec Kanal, par exemple, on a mis en place une réunion mensuelle. Après avoir passé cinq ans à Vienne, je me rends compte de la capacité qu’a Bruxelles à collaborer ensemble, malgré toute la complexité de la région.

Le budget ?
Très difficile. Ce sera un grand combat si on veut faire de Bozar un lieu d’art, un équivalent du Barbican à Londres, avec cette proximité rare entre les disciplines. Je n’aurais pas voulu diriger un théâtre. Il faut refinancer Bozar pour lui permettre de développer un projet ambitieux. J’espère que ma nomination, celle d’un profil très artistique, implique d’assumer ce choix et de me permettre budgétairement de réaliser mes projets.
Pourquoi avoir posé votre candidature alors que vous auriez pu avoir un nouveau mandat à Vienne ?
J’ai fait 22 ans de festivals (Kunsten et Vienne), c’était mon monde. J’ai fait ce pas vers Bozar pour réfléchir à ce qu’était une maison, pour diriger un lieu, et que ce soit à Bruxelles, dans cette ville qui est la mienne. Ce dynamisme de Bruxelles avec sa complexité, mais aussi sa créativité, ses liens avec les autres capitales européennes, est très inspirant.
Comme voyez-vous Bozar dans six ans au terme de votre mandat ?
D’abord, un Bozar très renouvelé au niveau de ses publics. Il y a un problème de vieillissement du public pour certaines de nos activités. Il y a urgence à faire venir d’autres publics et à mieux refléter une ville si internationale et si jeune. Il y a là un vrai chantier de mixité et d’inclusion devant nous. Je voudrais aussi améliorer l’hospitalité. Bozar est un lieu magnifique par son architecture, mais, si on y rentre pour une expo ou un concert, on n’y reste pas longtemps. Si je compare au Centre Pompidou ou au Barbican, il faut voir comment les gens pourraient y passer leurs journées. Il faudrait repenser à faire de ce magnifique hall Horta, un espace plus hospitalier. Il faut aussi répondre aux urgences énergétiques. J’ai tous ces défis qui arrivent en même temps. Je pense qu’il faut transformer et ne pas avoir peur.
Vos mentors ?
J’ai étudié l’histoire de l’art contemporain à l’ULB et l’ai longtemps enseigné longtemps à La Cambre. Mes deux passions, c’étaient les arts visuels et la danse. Anne Teresa De Keersmaeker m’est très proche. Elle devrait venir à Bozar en 2025. Elle a beaucoup travaillé ces dernières années dans le contexte des musées, du Louvre à Beyeler. On réfléchit à comment ramener tout ça à Bruxelles, à faire à Bozar un trajet dans les expositions. Et bien sûr, au Kunsten, Frie Leysen m’a montré comment mettre en relation les gens, faire des traits d’union entre les disciplines.