"Rocky, dernier rivage" de Thomas Gunzig : après l’apocalypse, seule une famille survit

Roman noir et épatant d’anticipation, "Rocky, dernier rivage", le nouvel opus de Thomas Gunzig, est une analyse caustique de nos vies.

Thomas Gunzig (Bruxelles, 1970). "Rocky, dernier rivage" est son dixième roman.
Thomas Gunzig (Bruxelles, 1970). "Rocky, dernier rivage" est son dixième roman. ©Bart De Waele

Le nouveau et épatant roman de Thomas Gunzig est bien en phase avec le climat d'anxiété généralisée face à l'avenir. Dans Rocky, dernier rivage, il raconte comment survit une famille à l'apocalypse qui a mis fin à notre humanité.

En quelques phrases, Thomas Gunzig (Bruxelles, 1970) décrit cet effondrement causé par un enchaînement allant du changement climatique, des virus nouveaux et des tempêtes sociales à une guerre nucléaire. On laisse au lecteur le plaisir de découvrir comment notre humanité pourrait se détruire ainsi très, très vite.

On sait qu'à la Silicon Valley, des apprentis sorciers réfléchissent déjà à se ménager une sortie de secours en cas de catastrophe, rêvant même d'émigrer alors sur Mars. Dans le roman de Gunzig, Fred est un brillant entrepreneur qui a prévu à temps le pire et a acheté, via une société spécialisée en survie (!), une petite île. Celle-ci a une superficie de 18 ha, est située très au Nord, à 600 km de toutes côtes habitées et on y a aménagé une luxueuse maison pourvue de tout le confort imaginable pour tenir bon durant des décennies. Isolée du reste du monde, elle a des stocks de nourriture et des milliers de films à regarder.

Dès que l'apocalypse s'est annoncée, il s'y est réfugié avec sa femme, Hélène, et leurs deux enfants, Jeanne et Alexandre. La société qui leur a construit la maison leur a fourni aussi un couple de domestiques argentins, Ida et Marco.

Famille déchirée

Au début de leur installation sur l'île, ils pouvaient encore capter des informations du monde, chaque jour plus noires. Jusqu'au silence total et le constat qu'ils étaient peut-être les seuls survivants au monde sans espoir de quitter un jour leur île.

Le roman raconte alors comment cette famille réagit et se déchire. Comme l'écrit Thomas Gunzig, "la catastrophe n'avait pas transformé la famille, elle n'avait fait qu'en révéler la vérité. […] La vie facile permise par la richesse et les distractions sans fin des voyages, n'avait fait qu'empêcher que se révèle la véritable nature de la famille qui était un agrégat de personnalités n'ayant rien à faire les unes avec les autres."

Tandis que Fred gère sa maison, Hélène, privée de ses distractions, se drogue au Xanax. Alexandre ne rêve qu'à Chloé, la fille qui lui avait offert un premier baiser. Il se réfugie dans ses écouteurs et la musique, tout en rêvant, solitaire, devant la mer et les vagues. Jeanne ne pense qu'à s'enfuir de cette île pour retrouver "la vie d'avant" dont elle fut privée.

Dans ce huis clos étouffant, sans avenir possible, il apparaît à quel point cette vie d'avant était futile, marquée par le seul plaisir de la consommation. Mais en être privé à toute jamais est une souffrance.

La relation de maître à domestiques entre Fred et le couple Ida et Marco ne résiste pas à cette nouvelle donne. On pense au film de Ruben Östlund, Sans filtre, primé à Cannes en 2022, où là aussi un naufrage renverse les relations maîtres-serviteurs.

Thomas Gunzig, dont Rocky, dernier rivage est le 10e roman, raconte avec une belle profondeur de sentiments le sort de cette famille privée d'avenir, condamnée à s'entendre jusqu'à ce que la mort survienne. On pense à un autre film de fin du monde : Melancholia de Lars von Trier.

Si Rocky, dernier rivage se lit comme un thriller haletant, le roman nous amène aussi à nous demander ce qui est important dans nos vies et mériterait d'être sauvé.

--> ★ ★ ★ ★ Rocky, dernier rivage | Thomas Gunzig | Roman d'anticipation | Au diable vauvert, 357 pp., 20 €, numérique 10 €

EXTRAIT

"Tout ça avait disparu ou était occupé à disparaître. L’éternité de tous ces accomplissements n’avait été qu’une illusion. Les lois de la thermodynamique gouvernaient aussi bien à l’échelle universelle qu’à l’échelle humaine. L’entropie, l’inéluctable évolution de toute chose vers le désordre, n’oubliait personne. Jamais. Nulle part."

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