Madeleine allait-elle venir ?
Une histoire d’amour muette dans les furies d’une Afrique en guerre d’indépendance.
- Publié le 31-08-2023 à 17h00
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L'amour ne se déclare pas toujours en mots évidents. Il peut ne pas se dire et, pourtant, être ressenti avec une force bouleversante, traversant soudainement une destinée autrement apaisée. Mais se voulant discret, il ne peut s'empêcher de laisser échapper des indices de sa réalité. C'est d'une histoire d'amour qui ne s'exprime pas à voix audible mais n'en trouble pas moins la vie d'une épouse timide et secrète que parle Dominique Barbéris dans son dernier roman. Une façon d'aimer est celle, très particulière, qui fait écho aux émotions intimes d'une femme que rien ne prédisposait au coup de folie qui, brutalement, la saisit dans son univers convenu mais, jusque-là, agréable. Elle est racontée par une narratrice, sa nièce, qui n'est sans doute pas sans affinités avec la romancière elle-même.
Un monde étrange
Elle s'appelle Madeleine. Dans les années 50 où se situe le récit, elle apparaît, à 27 ans, blonde et élégante sur une photo conservée de l'époque. On disait qu'elle ressemblait à Michèle Morgan. Elle avait suivi le mari, très amoureux, qu'elle avait décidé d'épouser au Cameroun où il avait, à Douala, une situation confortable. L'époque était à la décolonisation et aux conflits que cela suscitait. Elle découvre un monde étrange et vaguement inquiétant pour elle où, s'intégrant mal, elle demeure assez solitaire et raide dans les fêtes multiples où son couple était invité. Jusqu'au jour où surgit un homme déterminé et romanesque, fonctionnaire à l'administration, qui, lors d'un bal, l'invite à danser. Non, elle ne danse pas, elle ne sait pas bien. Séducteur notoire, il ne se démonte pas pour si peu et se fait persuasif. Elle le suit maladroitement. Il comprend qu'elle est sans expérience. Il la revoit épisodiquement, au hasard des sorties qu'elle s'octroie avec sa petite fille. Ils font quelques pas ensemble, aux yeux de tous. Il est attentif, ouvert, lui fixe finalement un bref rendez-vous, lui offre une sorte de "Entre toi et moi, si tu voulais…" muet, à la Beaucarne… Les gens observent, commentent… Son mari fait une colère : "C'est un coureur. Il se moque de toi". Peut-être. Sait-on jamais ?
Mélancolie
On ne dira pas comment se termine cette histoire qui instille un suspense dans un récit jusque-là délicat mais assez tiède. Dominique Barbéris y renoue avec une mélancolie qui parcourt plusieurs de ses livres précédents. Elle décrit bien l'ambiance d'une Afrique ébranlée par ses rêves d'indépendance, s'amuse des interventions - "De mon temps, c'était mieux" - d'une grand-mère toujours négative, interroge minutieusement les lettres, photos et documents rassemblés par Madeleine dans une enveloppe que lui a transmis la fille de celle-ci… Et, à partir de là, elle recrée, suppute, invente…
C’est un très joli roman, à l’écriture élégante et fluide, entre émotions subtiles, images surannées, vie rêvée et destin assumé. Le tout au fil de chansons qui témoignent de l’atmosphère et des sentiments de ces années où l’on chantait André Claveau, Guy Béart ou Mouloudji…
--> ★ ★ ★ Une façon d'aimer | Dominique Barbéris | Roman | Gallimard, 208 pp., 19,50 €, numérique 14 €
EXTRAIT
“Est-ce parce qu’il ne reste plus aucune trace, aujourd’hui, de ce monde que le souvenir inocule en moi un secret et permanent chagrin ?”