"Trust" d'Hernan Diaz, un roman étourdissant de maîtrise et d'inventivité
Le deuxième opus de l'Américain Hernan Diaz, "Trust", paraît en traduction française auréolé d'un immense succès aux États-Unis et du prix Pulitzer 2023.
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- Publié le 06-09-2023 à 17h01
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Trust, le deuxième roman d'Hernan Diaz après Loin (La Croisée, 2018), paraît en traduction française auréolé d'un immense succès aux États-Unis et du prix Pulitzer 2023, que l'écrivain américain a obtenu conjointement avec Barbara Kingsoler pour Demon Copperhead (relecture contemporaine du David Copperfield de Charles Dickens, qui paraîtra en français en janvier 2024 chez Albin Michel). Et l'on comprend vite pourquoi. Captivant, intelligent, étourdissant de maîtrise et d'inventivité : on a rarement lu un roman d'une telle facture, tant formelle que scénaristique.
Dans l’histoire américaine, le krach de 1929 a marqué la fin d’une décennie où toutes les ambitions et tous les rêves semblaient permis. Mais là où la plupart ont tout perdu, un homme est parvenu non seulement à se mettre à l’abri de la banqueroute, mais à tirer de cette crise hors normes des bénéfices colossaux. Héritier d’une famille qui a fait fortune grâce au négoce du tabac, ce magnat de la finance est dès lors devenu une figure enviée que sa discrétion et son refus des mondanités ont élevé au rang de mythe. Pour parfaire le tableau, son épouse (qui n’a pu devenir mère) s’est investie sans compter dans des œuvres de bienfaisance qu’elle a choisies et des fondations qu’elle a administrées avec autant de soin que de générosité. Musiciens, artistes, écrivains, bibliothèques : nombreux sont ceux qui ont bénéficié de cette manne.
Se méfier des apparences
Voilà pour la charpente sur laquelle s’appuie Hernan Diaz pour construire un roman gigogne de haute voltige (ce qui ne nuit jamais au plaisir de lecture, bien au contraire), où les narrateurs se succèdent pour donner leur version de l’histoire d’un couple fascinant. Quatre récits se succèdent ainsi, dont l’on préfère taire les spécificités comme les enjeux, pour ne pas nuire à la découverte. Disons simplement que chacun apporte son éclairage et ses révélations, déconstruisant toujours un peu plus le mythe autant que multipliant les lignes de force.
Mais d’où que l’on regarde, l’auteur nous invite à nous méfier des apparences. Qu’il s’agisse du monde de la haute finance - où cynisme et opportunisme des transactions n’ont d’autre but que d’engranger toujours plus de profits. Des injustices sociales qui en découlent. De la capacité toute féminine à se créer un personnage digne de répondre aux attentes des hommes. De la fortune qui tord la réalité autour d’elle. Du pouvoir sous toutes ses formes, qui permet de façonner le monde à sa guise. Des rapports entre écriture et vérité, cette dernière n’étant qu’un leurre puisqu’elle ne peut exister hors de ce qui demeure une construction.
Une pointe de féminisme
Au fil des pages et des récits, le vernis se fendille, les trajectoires perdent de leur superbe, les masques tombent. Cet éblouissant destin dont l'Amérique aime tant se glorifier cache finalement l'histoire d'un couple et d'un mariage fondée sur un secret (et où perce une pointe de féminisme subtilement amenée). Plus qu'à une veine financière, Trust renverrait donc à son autre sens : la confiance. Confiance en l'autre bien sûr, mais peut-être surtout dans les pouvoirs de la fiction, ses palettes et ses registres, pour qui sait si habilement s'en montrer maître.
--> Trust | Roman | Hernan Diaz, traduit de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Richard | Éditions de L'Olivier, 399 pp., 23,50 €, numérique 17 €