Paolo Giordano : son roman "Tasmania" explore notre anxiété du temps présent
L'écrivain italien Paolo Giordano aborde les catastrophes en germe dans notre monde, en miroir de celles du narrateur.
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- Publié le 07-09-2023 à 17h00
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En 2009, Paolo Giordano faisait une entrée triomphale dans le panthéon des lettres italiennes. À 26 ans à peine, celui qui venait alors de décrocher un doctorat en physique théorique à l'université de Turin, publiait son premier roman, La solitude des nombres premiers, couronné d'emblée par le prestigieux prix Strega, l'équivalent italien du Goncourt. La presse italienne fut dithyrambique et le roman fut vendu à plus d'un million d'exemplaires rien qu'en Italie.
Dans son nouveau roman, Tasmania, il cumule à nouveau son intérêt pour la science et son métier d'écrivain. Le narrateur, également écrivain et journaliste, s'appelle Paolo comme l'auteur. Il est à Paris en 2015 pour couvrir la COP21. On le suit alors jusqu'en 2019, entouré d'amis ou de connaissances qui, tous, s'interrogent sur l'état du monde et ses misères.
États d’âme de notre époque
Le roman aborde par bribes tous les défis qui s'accumulent : les attentats terroristes, le réchauffement climatique et ses dégâts comme la surproduction des méduses, la pandémie et même les germes de la future guerre en Ukraine.
Le spleen planétaire et la solastalgie (l'éco-anxiété) rejoignent les petites misères conjugales du narrateur : son couple avec Lorenza traverse une crise depuis que celle-ci a dû admettre qu'elle n'aurait pas d'enfant.
On suit Paolo dans ses rencontres avec des personnages improbables comme Novelli, le spécialiste des nuages qui repère des nouvelles formes inquiétantes dans notre ciel. La gloire de Novelli sera brutalement ternie quand il se montre profondément machiste à l'égard des femmes scientifiques.
On croise encore Giulio, jeune physicien qui se sépare de Cobalt, un prénom bien menaçant, Karol, un prêtre qui confie à Paolo qu'il est amoureux d'une jeune fille, et Curzia, une journaliste qui enquête sur tous les attentats terroristes.
"J'écris sur tout ce qui m'a fait pleurer" est la dernière phrase de Paolo et du roman. Ses états d'âme sont ceux de notre époque. Paolo "se sentait vaguement coupable. Envers le dieu des occasions à ne pas rater, peut-être un dieu que j'étais particulièrement habile à décevoir." Dans ses errements, il en vint même à regarder des décapitations sur Internet.
Stress pré-traumatique
On parle souvent de stress post-traumatique. Paolo Giordano évoque dans son roman le stress pré-traumatique, le syndrome de Cassandre qui frappe sa génération anxieuse face aux catastrophes à venir d'un monde "où l'on meurt de soif d'un côté et où l'on se noie de l'autre."
Dans ce livre qui nous amène sur un chemin zigzagant, suivant un fil parfois décousu à la suite de la mélancolie de Paolo, on aboutit au sujet du livre que le narrateur rêve d'écrire : l'apocalypse nucléaire, la mère de toutes les catastrophes possibles.
Là encore, l'auteur alterne alors des considérations intimes sur la vie de Paolo et des paragraphes plus scientifiques et passionnants. Le roman sort par hasard en phase avec le film Oppenheimer. Le narrateur a étudié l'histoire de la bombe et se rend à Hiroshima et Nagasaki pour rencontrer les derniers témoins, des passages poignants.
Si le roman s'appelle Tasmania, c'est que la Tasmanie, la grande île au sud de l'Australie, est peut-être le lieu où l'on pourra échapper à la fin du monde.
--> Tasmania | Roman | Paolo Giordano, traduit de l'italien par Nathalie Bauer | Le bruit du monde, 336 pp., 23 €, numérique 16 €
EXTRAIT
"Vous, où achèteriez-vous un terrain ? Pour sauver votre peau je veux dire.
Je ne ferai jamais une chose pareille.
Mais si vous deviez vraiment. En cas d’apocalypse.
Novelli a réfléchi quelques secondes et puis il a dit: En Tasmanie. Elle a de bonnes réserves d’eau douce, elle se trouve dans un état démocratique et n’héberge pas de prédateurs pour l’homme. Elle n’est pas trop petite, mais elle demeure une île, donc plus facile à défendre. Car il faudra se défendre, croyez-moi."