"Sarah, Susanne et l'écrivain" d'Eric Reinhardt : le troublant mélange d’une femme et son double
Eric Reinhardt raconte en une mise en abîme, un écrivain imaginant la vie dramatique d’une femme bien réelle. Critique.
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- Publié le 07-09-2023 à 13h00
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Sarah, Susanne et l'écrivain, le nouveau roman d'Eric Reinhardt peut se voir comme une prolongation de L'Amour et les Forêts, publié en 2014 et porté récemment à l'écran par Valérie Donzelli. Dans ce roman précédent, il racontait l'histoire de Bénédicte, une provinciale emprisonnée dans un couple mal assorti et sous l'emprise d'un mari minable et dangereux pervers narcissique qu'elle est incapable de quitter. L'écrivain se mettait déjà en scène dans son rôle de romancier rencontrant par hasard, lors d'une séance de dédicaces, Bénédicte qui lui dévoilait alors l'enfer de sa vie.
Dans son nouveau roman, Sarah, sortie tout juste d'un cancer du sein, est en couple depuis plus de vingt ans avec un homme qui l'a peu à peu négligée, s'enfermant chaque soir dans sa cave. Quand Sarah découvre qu'elle n'est plus propriétaire que de 25 % du domicile conjugal, elle se décide à secouer son couple et à mettre son mari à l'épreuve en quittant pour quelques semaines la maison de famille, le temps pour chacun de réfléchir.
Mauvaise idée, car elle enclenche ainsi un processus démoniaque qui la laissera complètement abandonnée, à demi-folle, isolée de ses enfants, victime encore davantage de la vengeance d'un mari pervers qui s'épanouit mieux une fois débarrassée d'elle.
Église transparente
Pour l'anecdote, signalons que dans le roman, Sarah est architecte et construit des sculptures grandes comme des maisons dont une Église de dentelle, inspirée directement, précise Eric Reinhardt en fin de roman, par l'Eglise transparente des architectes belges Gijs et Van Vaerenbergh qu'on peut admirer en Campine, à Borgloon.
À nouveau, comme dans le précédent roman, Eric Reinhardt se met en scène dans le personnage de l'écrivain qui reçoit les confidences de Sarah avec pour tâche d'en faire une fiction où Sarah s'appellera Suzanne. C'est un jeu littéraire que nous donne là Eric Reinhardt, une mise en abîme de ce que peut-être un roman par rapport à la réalité, sur les écarts parfois minimes entre le réel et la fiction.
Il faut parfois s'accrocher pour suivre qui parle, de Sarah ou de Suzanne, mais si on les confond on ne perd rien du fil narratif du livre. La confusion semble même voulue pour montrer l'inextricable lien qui peut exister entre un roman et la vérité insaisissable de la vie.
Le livre est aussi riche de références multiples, littéraires comme artistiques, avec une histoire bien curieuse d'anthropophagie picturale où l'amour d'un tableau peut aller jusqu'à le dévorer et pas seulement des yeux.
--> ★ ★ Sarah, Susanne et l'écrivain | Roman | Eric Reinhardt | Gallimard, 420 pp., 22 €, numérique 16 €
EXTRAIT
"Tu voulais de que je réfléchisse ? Tu devrais être contente, je n’avais jamais autant réfléchi de toute ma vie, ton plan a dépassé tes prévisions les plus optimistes ! Oui, j’ai réfléchi, j’ai avancé, tu l’as dit toi-même tout à l’heure, à présent je parle comme unlivre. Ce n’est d’ailleurs pas le seul point sur lequel j’ai changé,, ni la seule chose que je fais différemment."