Par Charles Roquin, un double meurtre au Festival de Bayreuth
Charlie Roquin nous donne un roman original, cocktail de musique, de suspens, de wagnérisme et d’humour. Critique de "Les maîtres de Bayreuth".
- Publié le 08-09-2023 à 07h00
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Qui aurait prévu que le Festival de Bayreuth serait, un jour, le théâtre d'un double meurtre ? Personne, bien entendu. Personne, sauf Charlie Roquin, jeune romancier parisien, déjà auteur de deux romans, Metadata, critique du monde de l'entreprise, et Le Roi, dans lequel il imagine le succès d'un prétendant au trône de France, descendant de Charles X. Cette fois, il nous donne un récit d'une imagination diabolique, d'une érudition wagnérienne époustouflante, assaisonné de touches d'humour comme trempées dans la théière d'Agatha Christie. Mon écriture, dit-il, est à la frontière du sérieux et de l'humour, du crédible et de l'absurde.
Absurdes mises en scène
Comme chaque été, l'éminent critique musical Moshe Griebnisch, sexagénaire et alcoolique, se rend au Festival consacré depuis 1876 aux opéras de Richard Wagner. Il y est toujours accueilli avec faveur par sa directrice, Petula Stark, une quadragénaire boudinée dont il défend les innovations scéniques . "Son dernier Vaisseau fantôme avait pour vaisseau une barque de migrants et l'un de ses Lohengrin se déroulait sur Mars. Elle avait défrayé la chronique en créant le premier Tannhauser musulman et par son Ring à charge contre l'Union européenne, où Wotan et Fricka étaient personnifiés par le couple "Macron-Merkel".
Or, Moshe Griebnisch défendait les choix de Petula, ce qui faisait de lui un invité choyé d'un Festival dont le prestige n'en avait pas moins pâti : il était devenu possible d'obtenir des places au dernier moment alors qu'auparavant il fallait s'y prendre des années à l'avance, et qu'aucun chef d'orchestre choisi par elle "n'était arrivé à la cheville de Karajan, au talon de Furtwängler, à la plante du pied de Knapperbusch".
Le fils d’un ancien amant
Les soirs de première, Moshe avait pris l'habitude d'aller commenter la représentation dans une auberge de Bayreuth où un public passionné venait recueillir ses oracles. Or, cette année-là, à peine avait-il commencé de les délivrer à propos de L'Or du Rhin qu'un jeune inconnu à la dégaine américaine s'était dressé dans la salle et avait contredit ses jugements avec une précision et une érudition confondantes. Déconcerté, Moshe finit pat lui demander qui il était. "Henry Griebnisch", répond le gaillard.
L’éminent critique comprit aussitôt le désastre. Son contestataire était le fils du chef d’orchestre new-yorkais Dalmatius Griebnisch, un cousin avec qui il avait entretenu une longue liaison homosexuelle qui avait fait le malheur de sa femme et de son fils. Et voici que ce fils se dressait devant lui comme pour régler un vieux compte à travers sa destruction méthodique du "Regietheater" qui s’était répandu en Europe, allant jusqu’à faire expirer Tristan et Isolde à bord d’une rame de métro, et que les Américains qualifient, eux, de "Eurotrash" !
Au cours de leur controverse à l'issue de Götterdammerung, Henry remarque soudain combien les yeux de Moshe ressemblent à ceux de son père "qu'il n'avait jamais eu l'occasion ou le courage d'affronter". Il sort le pistolet luger P14 que Moshe avait offert naguère à son père. L'arme déviant, trois balles atteignent Petula qui s'effondre tandis que le tireur s'écroule le crâne fracassé par la chope de bière que le tenancier des lieux lui a assénée pour empêcher un carnage.
--> ★ ★ ★ Les maîtres de Bayreuth | Roman | Charlie Roquin | Le Cherche Midi, 240 pp., 20 €, numérique 14 € (P.S. : Trois QR Code permettent d’écouter les morceaux cités dans le roman.)
EXTRAIT
“La mise en scène s’inscrivait dans la tradition déjà vieille du Regietrash ou Eurotrash comme disent les Américains pour qualifier l’extravagance quasi systématique des productions européennes”.