"La foudre" de Pierric Bailly: une vie en pointillé dans l’ombre des autres
Pierric Bailly livre avec "La Foudre", son septième roman, un page-turner intimiste très réussi.
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- Publié le 09-09-2023 à 11h00
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Berger épris de nature et de solitude, ronchon avec les marcheurs qui osent lui demander de l’eau, John vit l’été dans l’alpage au Crozat, dans le Haut-Jura. Son logement n’offre aucun confort, mais la compagnie de ses chiens et d’un troupeau de 325 bêtes suffit à son bonheur. De temps à autre, Héloïse le rejoint. Tous deux envisagent d’avoir un enfant, ce serait bien que celui-ci naisse à La Réunion, où la jeune femme a décroché un poste d’enseignante et où John a promis (à contrecœur) de la rejoindre.
En feuilletant un jour de vieux journaux, John apprend qu'Alexandre, un ancien camarade de lycée, est accusé du meurtre d'un jeune homme, un voisin, tué lors d'une bagarre qui a mal tourné. Or à l'adolescence, Alexandre était tout ce que John n'était pas : à l'aise, cultivé, charmeur. Son éclatante popularité et son intelligence faisaient de l'ombre à John. "J'avais de plus en plus de mal à exister en sa présence. […] Je me sentais en danger." Mais c'était aussi une sorte de modèle, auquel John a tenté de ressembler.
Après avoir hésité quelque peu, John prend contact avec Nadia, l'épouse d'Alexandre. "Je suis touché par son histoire. J'ai envie de prendre soin d'elle." Toute à sa détresse d'avoir un mari en détention préventive et de devoir gérer une situation délicate avec deux enfants en bas âge, Nadia accepte de le rencontrer. Une histoire passionnelle naît bientôt entre eux, qui bouleverse la vie et les projets de John.
On ne lâche pas John
La montagne, la complicité avec les animaux, la vie au rythme des saisons, les tiraillements du monde rural (la cohabitation avec les loups comme avec les chasseurs) : c'est dans la veine du nature writing que se déploie La Foudre, le septième roman de Pierric Bailly (Champagnole, 1982). Mais l'écrivain français y ajoute une tension qui naît de la proximité qu'il crée entre son personnage principal et le lecteur, autant que de son écriture d'une fluidité et d'une simplicité qui cachent une belle maîtrise. Résultat : on ne lâche pas John, et on poursuit la lecture, encore et encore.
Dépendant des décisions des autres plus que de sa volonté propre, John chancelle et nous émeut. Que ce soit dans l'ombre d'Alexandre ou en pâmoison devant Nadia, il est celui qui ne récolte que les miettes. C'est avec une fine sensibilité que l'auteur du Roman de Jim nous décrit ses espoirs, ses déceptions, ses renoncements. Cette vie en pointillé, insatisfaisante, est pourtant la seule qu'il ait. Aussi donne-t-il le change, clame son enthousiasme pour mieux dissimuler son désarroi, rêve que les autres voient en lui "un mec sans souci, sans contrariété. Un mec à l'esprit léger. Un mec qui ne rumine pas, qui n'en veut à personne". Une vie humble et effacée que Pierric Bailly magnifie dans ce page-turner intimiste à l'atmosphère des plus singulières.
--> La Foudre | Roman | Pierric Bailly, P.O.L, 458 pp., 24 €, numérique 17 €
EXTRAIT
“Je calfeutre, je badigeonne, j’enduis, je maquille, je me maquille, je me poudre, en espérant me réveiller un jour en collant à l’image que les autres se font de moi.”