"L'enfant dans le taxi" : Sylvain Prudhomme plonge dans le maquis de la mémoire familiale
Le voyage intimiste d'un écrivain à travers les secrets de sa famille pour retrouver la trace d'un enfant né d'un amour interdit. Un livre tendre et grave à la fois, par l'auteur des "Grands" et de "Par les routes".
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- Publié le 12-09-2023 à 18h06
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En 2011, Sylvain Prudhomme publiait Là, avait dit Bahi, roman qui arpentait l'Algérie au seuil de l'indépendance, celle où vécut son grand-père, qui inspira le personnage du fermier Malusci. Dans un recoin de ce texte composé d'une seule phrase, un puissant souffle de 208 pages, l'auteur des Grands et de Par les routes (prix Femina 2019) avait semé le germe d'un livre à venir. Quelques lignes à peine. L'allusion fugace à une Allemande connue à la fin de la guerre, sur les rives du lac de Constance occupées par les troupes françaises. Douze ans plus tard, L'enfant dans le taxi nous apprend que de cet amour illégitime est né un fils.
Le patriarche vient de mourir, des années après son retour en France, lorsque Simon, le narrateur, se voit confier son secret. "Scène primitive, à jamais manquante, que ni Malusci ni cette femme ne sont plus là pour raconter. Matrice solaire et sombre à la fois, autour de laquelle je veux tourner, retourner." Une histoire connue des anciens, tenus au silence "puisque depuis toujours dans l'ordre des familles le crime c'est de parler, jamais de se taire". Est-ce pour s'affranchir du poids du passé ? délivrer des mots tus pour préserver la paix - "l'autre nom du déni" ? Simon se met en quête de celui qui habite ce manque, l'oncle caché, dont on ne connaîtra que l'initiale du prénom, M.
Écriture en mouvement
La "parfaite absence" de M. fait directement écho à celle de A., la femme de Simon. Ils ont eu deux enfants, ils se quittent sans se haïr, sans fracas, après vingt ans d'amour, autant dire une vie entière.
Une vie des plus banales, sans doute. Les joies et la douleur. La solitude qui demeure - celle de M., "esseulé majuscule", celle de Simon, celle de tous en réalité - quelle que soit la solidité du clan. Combien elle rétrécit, la vie, quand l'amour "s'en va de nous", comme le chante Omara Portuondo. Comment elle rejaillit, la vie, même des plus profondes blessures, pour reconstruire le quotidien, pour recomposer de nouveaux schémas familiaux. Comment le mouvement, l'un des motifs chers à l'écrivain voyageur, rend possible la réparation. Voilà pourquoi Simon doit chercher M., qui est peut-être encore là, sur les rives du lac de Constance.
La matière des sentiments
Au-delà de l’enquête généalogique ou historique, au-delà de l’hommage aux enfants interdits de la guerre, c’est une quête poétique qui anime la prose de Sylvain Prudhomme, dont on retrouve toute la délicatesse et le talent pour saisir, par impressions, par bribes, la matière imperceptible des sentiments.
Du pourtour méditerranéen aux contreforts des Alpes, un émouvant voyage dans l’intime, sans gros sabots, sur la pointe des pieds presque, brossant chaque personnage avec une douceur infinie, ni trop haut ni trop bas, sondant ses désirs et ses contradictions avec une sincérité déconcertante.
Qu’on ne sous-estime pas l’audace d’une telle démarche, ni les écueils qu’elle présente en matière de relief ou de rythme. Bien que par endroits elle peine quelque peu à le trouver, on a tôt fait de se laisser porter par cette écriture serpentine, de faire confiance à sa ponctuation sauvage, d’admirer sa construction aussi patiente qu’un enfant empilant les galets sur la plage malgré le vent. Il y a dans la précision et le sérieux de son geste tout un monde d’espoir.
--> L'enfant dans le taxi | Roman | Sylvain Prudhomme | Éditions de Minuit, 224 pp., 20 €, numérique 14 €
EXTRAIT
"Je ne sais pas pourquoi ces deux amants-là me bouleversent. Je sais seulement que cela fut. Que ces deux bouches un jour de printemps s’embrassèrent. Que ces deux corps se prirent [...] Je sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui."