Parmi les romans belges de la rentrée, le western andalou d’Isabelle Wéry : "Le Chat m'attend à l'aéroport"
Ou les vacances rocambolesques dans la pampa de Vanina, demoiselle millénaire et farfelue, par l’autrice de “Poney flottant”.
- Publié le 13-09-2023 à 17h00
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Qu’un Chat attende une voyageuse à l’aéroport et lui ouvre la porte de sa vieille BMW couleur étang vert crasseux n’est pas anodin. Mais ne surprend guère Mademoiselle Vanina, qui tient à son état civil, malgré son grand âge – et qui sera rapidement surnommée L’Ancienne.
Outre ledit Chat, petit râblé mal rasé façon mini Schwarzenegger, le récit très 'réalisme magique' d’Isabelle Wéry donne encore voix au Chien, grand et maigrichon comme une échelle, qui s’habille parfois comme un prince de la jet-set, ou à La Girafe, vêtue de son pagne et sac toujours en bandoulière. Un personnage difficile à cerner qui pourrait être une psychopathe allumée ou “une jeune bourgeoise française qui se tape un trip Naked and Afraid dans la pampa espagnole”.
La pampa précisément, au cœur de l’Andalucia, qui s’octroie la part du taureau dans Rouge Western, le nouveau roman fantasque d’Isabelle Wéry où règnent la canicule et le second degré, l’autrice flirtant sans cesse à la lisière de l’absurde, fuyant toujours la banalité.
Chaleur
La chaleur crispante s’impose en ces terres rouges, poussiéreuses et reculées d’Espagne où Mademoiselle Vanina, vieille dame délurée, décide de poser ses valises, le temps de vacances farfelues.
Très vite, elle trouvera des raisons de se plaindre de cette “cortijo del pescado”, soit “La ferme du poisson”, cet Airbnb typiquement andalou qui tremble sous le bruit des marteaux-piqueurs à l’heure aiguë de la sieste.
L’Ancienne ne tardera pas non plus à se demander si ses neveux ne lui ont pas, avec ce voyage, offert un cadeau empoisonné pour mieux se débarrasser d’elle. Peut-être aurait-elle mieux fait de se méfier…
Elle ne peut toutefois s’empêcher d’être attirée par ses nouvelles connaissances, par cette coutume espagnole qui consiste à se tutoyer d’emblée, par cette invitation à se jeter à l’eau dans le plus simple appareil et à dépasser ses limites.
La tension – que laisse présager le titre – devient palpable et la vendetta s’annonce redoutable au vu de la détermination de cette bande de pattes cassées, qui pourraient cependant rater leur coup et embaucher L’Ancienne pour se “farcir” le sale boulot.
Peurs et passé revisité
Embarquée malgré elle dans cette drôle d’affaire, celle-ci revisite son passé, les peurs, d’attouchements ou de violences, qu’elle a toujours connues, à l’école, dans la rue pour son corps, ses seins naissants, ses fesses… Peurs en famille aussi des frères, des pères, des cousins libidineux, du viol au sein de son couple… Peurs qui remontent peu à peu à la surface.
Elle raconte surtout, du haut de ses mille ans et plus, ce premier grand amour quand elle avait dix-huit ans et que son cher et brillant Sergio en avait plus du double. Outre cette différence d’âge, ce sont aussi les mœurs libertines du premier homme de sa vie qui surgissent de l’inconscient, des souvenirs qui ne seront pas anodins.
Au fil du récit et de la revanche à prendre, l’héroïne se sent de plus en plus investie dans cette mission, comme si ces étranges vacances andalouses étaient moins dues au hasard qu’elle le croyait initialement.
L’heure d’écouter sa colère rentrée, voire ignorée, a sonné et efface peu à peu son sentiment d’imposture.
Plus chorizo que spaghetti
D’abord léger comme une sangria très fruitée, voici un (Rouge) Western plus chorizo que spaghetti, qui gagne peu à peu en suspense, en saveur et en profondeur.
L’air de ne pas y toucher, l’autrice de Marilyn Désossée (Maelstrom, 2013, European Prize of Literature), féministe convaincue et convaincante, par ailleurs comédienne et metteuse en scène, utilise l’humour, cette arme redoutablement efficace, pour défendre les droits des unes et des autres tout en nous emmenant de sa plume libérée et sciemment farfelue hors des sentiers battus. Fort, son propos n’est jamais pesant.
Pour elle, l’écriture ressemble à un art visuel, à des images inattendues que se doit de livrer l’écrivain ou l’écrivaine. Mission accomplie.
⇒ Rouge Western | Roman | Isabelle Wéry | Au Diable Vauvert, 299 pp., 20 €. numérique, 10 €
EXTRAIT
“De cette bonne vieille trouille qui vous agrippe les tripes et vous pique et vous nique. J’ai eu peur dans toutes mes cours de récré, pour mes seins naissants, pour mes fesses, mes culottes, mon sexe, peur des moqueries, des attouchements, de la violence. Et peur en famille aussi, des cousins libidineux, des oncles, des frères, des pères. Peur de l’ami de la famille. Plus tard, j’ai eu peur du viol au sein de mon couple: le potentiel fantasmagorique ahurissant de partenaires comme Sergio, qui m’ont contrainte à certaines pratiques que je ne désirais pas et auxquelles je me suis “pliée”? Par peur d’être quittée. Peur d’être remplacée. Peur d’être prise pour une prude. Une sainte-nitouche. Pourquoi les mères et les pères n’apprennent pas systématiquement à leurs filles et fils à oser dire “non”?”