Rachid Benzine dénonce les "non-dits" oppressants des pères

Dans "Les silences des pères", Rachid Benzine évoque la souffrance des pères immigrés. Très émouvant.

Rachid Benzine.
Rachid Benzine. ©DR

Après des romans où il évoquait déjà le déracinement à travers le lien entre une mère et son fils, Rachid Benzine explore dans Les silences des pères le lien difficile entre un fils et son père immigré. Il dédie ce livre "aux pères dont les mots enfouis dans les replis de leur âme attendent d'être entendus." Un roman qu'on sent nourri par l'histoire personnelle de l'écrivain et islamologue, auteur des bouleversantes Lettres à Nour.

Un fils apprend la mort de son père avec qui il a rompu tous les ponts 22 ans plus tôt. Amine, entre-temps, est devenu un grand pianiste reconnu. Il doit revenir à Trappes, la ville où il a grandi pour enterrer ce père avec qui il s'était brouillé. Trappes est aussi la ville où Rachid Benzine lui-même est arrivé quand il avait 7 ans.

En vidant l'appartement du père, le fils découvre, cachées, des cassettes soigneusement datées que son père envoyait à son propre père, dès les années 70, pour lui raconter comment se passait son immigration en France, ses difficultés et sa nostalgie d'un pays natal qu'il ne reverra jamais.

En écoutant la voix de son père, le fils comprend peu à peu qu'il ne le connaissait pas. Il entend les brimades reçues, les injures racistes parfois, les luttes souvent vaines. Le père travailla à la mine avant de bifurquer vers une cimenterie, puis des usines à Aubervilliers et Lip à Besançon.

Pressé de donner un concert à Berlin, le fils va prendre néanmoins le temps de retrouver les témoins de la vie de son père, cités dans les cassettes, ses copains de grève qui témoignent qu'il ne fut pas le lâche qu'Amine avait cru. Mais il fut un combattant contre l'injustice, un mélomane aussi. Un père soumis cependant à son propre père à qui il envoyait chaque mois de l'argent. Il découvre aussi l'histoire d'amour impossible entre son père et une non-musulmane, une union à laquelle le père de son père s'était opposé. Et le fils avait cédé.

Les raisons du silence

Amine reconnaît qu'après la mort tragique de son frère, jadis, lors d'un contrôle d'identité, il avait été "écœuré par l'absence apparente de colère de son père, son impassibilité." Le père avait alors appelé au calme les jeunes de la banlieue qui voulaient se soulever.

En écoutant ces cassettes, il comprend que le silence des pères a une raison, comme lui dit un témoin : "Les vieux comme ton père, ils ont voulu que toutes les souffrances, tout ce qu'ils ont subi, s'arrêtent avec eux. Ils voulaient vous en préserver. Pour que vous soyez libres de réussir votre vie, sa rancœur, sans amertume."

Dans un court roman et une langue simple qui touche directement le lecteur, Rachid Benzine pose bien la question de l'identité de ces jeunes nés dans un pays d'immigration avec des pères coupés de leurs racines qui sont restés silencieux sur leurs souffrances.

Alice Zeniter aussi évoquait cette difficulté dans son magnifique roman L'art de perdre (2017) dans lequel elle captait les émotions, les hontes, les désirs cachés, les aléas de la vie, les silences de ces immigrés.

Plus généralement, c'est le silence de bien des pères, souvent fruit d'une bonne intention, que Rachid Benzine critique quand il nuit à la construction des enfants. Tout en montrant qu'il y a aussi beaucoup de dignité dans ce "non-dit du père" et les souffrances que celui-ci cache.

--> Les silences des pères | Roman | Rachid Benzine | Seuil, 172 pp., 17,50 €, numérique 13 €

EXTRAIT

"Il ne veut pas mentir à ses parents. Il ne veut pas non plus les inquiéter. Il veut leur dire sa peine. Sans leur en parler. Il a dû écrire et récrire son texte des dizaines de fois avant de se décider à l’enregistrer tel que je l’entend, cinquante-six ans plus tard."

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...