La trajectoire tragique d’un couple amoureux
Claire Berest ausculte la rage montante d’un homme pris de folie destructrice.
- Publié le 14-09-2023 à 13h00
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Il y suffit parfois d'un rien pour qu'une histoire, jusque-là heureusement partagée, vire au drame. Claire Berest, dans son nouveau roman, traduit cela par l'épaisseur d'un cheveu. En l'occurrence, le cheveu tient plutôt de la crinière emmêlée, voire de la coupe de cheveux ou d'une alliance perdue… Dès la première page, on est averti que, trois jours après cette entrée en matière, un crime serait commis. Etienne, le principal protagoniste du récit "tuerait sa femme" dans la nuit du jeudi au vendredi qui suit. Le suspense tient ici dans les pourquoi et comment de l'acte. Ce qui intéresse la romancière, c'est le parcours d'un homme apparemment banal dans un délire passionnel.
Couple fait de contraires
Dernier correcteur dans la maison d’édition qui l’emploie, il défendait avec conviction, voire une excessive méticulosité, la nécessité de son métier, s’autorisant à réécrire des textes qu’il estimait médiocres. C’était un homme qui voyait tout de son seul point de vue, conservateur sans grande envergure, peu crédité par ses collègues qui négligeaient, sans y mettre de malignité particulière, de l’avertir des événements de l’entreprise. Le jour où il est prié, sanction à la clé, de tempérer ses obsessions perfectionnistes, il est stupéfait. Vexé. Son équilibre tient en elle, Vire, dont il est amoureux. Photographe, rayonnante, fantasque, elle l’entraînait, malgré ses réticences, aux expositions qu’elle fréquentait. Homme d’habitude, mal dans son époque, il l’invitait en retour aux concerts de musique classique et au voyage en Italie qu’il prévoyait chaque année pour leur plaisir mutuel. Du moins, le croyait-il…
Lorsque, rompant les amarres, elle déserte cette année-là Mahler pour Biolay, il reste abasourdi. Se rassurant d'un "Tout va bien. Notre couple est solide", il va écouter tout seul son concert de prestige. Mais la déception à laquelle s'ajoutent ses difficultés professionnelles le rongent à chaque heure de ses journées. Le couple fait de contraires dont il est laissé entendre qu'ils s'attiraient ne cesse plus de se disputer et, bientôt, se fissure sur un argument assez mineur mais suffisamment majeur pour qu'elle se retrouve morte dans l'appartement. Il nie être l'auteur des faits. Alors qui ?
Féminicide
Claire Berest dont c'est le neuvième livre - elle a notamment coécrit Gabriële avec sa sœur Anne - raconte la rage grondante d'un homme qui est soudain pris de folie destructrice. On comprend assez vite qu'on est dans un féminicide. Incompréhensions, non-dits, reproches, revendications, problèmes d'argent…, la romancière ausculte les états d'âme et divergences d'un couple dont elle refait le parcours de dix années de mariage depuis la rencontre. Elle ne parvient pas, pourtant, à nous faire croire à la soi-disant harmonie ou aux brouilles médiocres de ses deux personnages trop inconsistants pour éveiller une véritable curiosité. Sauf, peut-être, en dernière partie plus tendue. On le regrette d'autant que son sujet, brûlant, est quotidiennement inscrit à l'actualité immédiate.
⇒ L'épaisseur d'un cheveu | Roman | Claire Berest | Albin Michel, 240pp. 19,90€, numérique 14 €
EXTRAIT
“Les contraires s’attirent parce qu’ils se rassurent et colmatent les brèches. L’adversité est incroyablement vivifiante… Ça convenait à Etienne.”