Le cœur gros. Au revoir Botero !
Une fraction de seconde. C’est le temps qu’il suffit pour reconnaître, derrière ces personnages gonflés à l’hélium, la signature de Fernando Botero. Le peintre est décédé ce vendredi 15 septembre, à l'âge de 91 ans.
- Publié le 16-09-2023 à 08h45
- Mis à jour le 16-09-2023 à 08h46
:focal(2348.5x1600.5:2358.5x1590.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/HHWXBMOGC5EZVFLCJZEW5BXJ7A.jpg)
C’est la Présidence de la République colombienne qui l’annonce sur ses réseaux sociaux : “Fernando Botero, le peintre de nos traditions et de nos défauts, le peintre de nos vertus, est mort. Le peintre de notre violence et de notre paix. De la colombe mille fois rejetée et mille fois placée sur son trône. ”
Entamée il y a plus de 70 ans, sa production est le résultat d’une quête exigeante et déterminée. Né le 19 avril 1932 à Medellin, dans la cordillère centrale des Andes colombiennes, Fernando Botero se confronte très tôt aux obstacles de la vie. À 4 ans, il perd son père. Il sera élevé par sa mère entourée de ses oncles et poursuivra sa scolarité dans un collège jésuite (environnement vraisemblablement à l’origine de son penchant pour la riposte et la diversion). Autre fait marquant de son enfance : son inscription à l’école taurine dont il gardera une peur viscérale des taureaux mais aussi une fascination pour la corrida. En 1948, âgé de 16 ans, Botero voit ses premiers dessins publiés dans le supplément dominical d’El Colombiano. Électron libre, il sera expulsé de son collège pour avoir voulu publier un article sur le non-conformisme en art et un dessin de nu. Le jeune homme quitte Medellin pour Bogota où il expose et vend ses premières toiles en 1951.
Une question de proportions
Comme beaucoup de jeunes plasticiens latino-américains de son époque, il se passionne en premier lieu pour le travail des muralistes mexicains (Orozco, Siqueiros, Rivera). Soit une production qui l’encourage à se tourner vers son propre passé, ses racines, sa réalité (notamment à travers des références à l’artisanat et à l’iconographie populaire). Il s’imprègne également du caractère massif, de la frontalité hiératique et de la disproportion des corps propres à la statuaire précolombienne. Mais son influence la plus flagrante se situe en Europe. Direction l’Italie et les artistes du Trecento et du Quattrocento (Giotto, Masaccio, Paolo Uccello, Piero della Francesca…). Autant de maîtres qu’il découvre lors de ses études à Madrid en 1952. En 1955, son retour à Bogota est rude : ses œuvres – qui traduisent toute sa fascination pour le volume, ses distorsions et ses exagérations – ne séduisent pas. Pour survivre, Botero est contraint de vendre des pneus.
L’aspect monumental ne dépend pas seulement du volume de l’objet mais également de ses rapports de proportions et de sa relation avec ce qui l’entoure.
C’est en 1956 que Fernando Botero prête allégeance aux formes rondes et généreuses, avec sa Nature morte à la mandoline, un tableau aux allures de manifeste qu’il conserve précieusement dans sa collection. L’artiste a compris qu’en faussant les proportions, soit ici en réduisant exagérément le diamètre de la bouche, il parvient à rendre l’instrument beaucoup plus massif. Ainsi, l’aspect monumental ne dépend pas seulement du volume de l’objet mais également de ses rapports de proportions et de sa relation avec ce qui l’entoure.
L’artiste ne lâchera plus cette recette qui se change (trop ?) vite en fonds de commerce. Bientôt, ses formes deviennent de plus en plus lisses et polies, les couleurs posées en aplats. Prenant très à la lettre l’exhortation de Cézanne à “peindre une tête comme une pomme”, Botero recherche dans toutes ses compositions le même statisme inanimé de la nature morte. Aussi, le Colombien tend à désacraliser, avec un brin d’ironie, les monstres sacrés de la culture occidentale en réinterprétant comme nul autre les plus importants tableaux de l’histoire de l’art européenne. Invariablement, on sourit devant ses versions revisitées de la Joconde, des Ducs d’Urbin, des Époux Arnolfini, des Ménines… Fernando Botero s’approprie librement ces chefs-d’œuvre de notre mémoire collective, tout en révélant le potentiel poétique des formes qu’il déploie, bien au-delà des frontières, des cultures et des époques.
Dénoncer avec acuité
Aussi, le peintre n’hésite pas dénoncer la violence et les injustices de son temps. En 2015, l’artiste expliquait : “J’ai abordé des sujets politiques, une série sur la violence en Colombie, une série sur la torture dans la prison irakienne d’Abu Ghraib, j’ai évoqué les dictateurs à une époque où les juntes militaires étaient légion en Amérique latine. Je m’intéresse à la politique comme tout le monde, je m’informe de tout ce qui se passe, je suis ému par beaucoup des événements actuels. […] ” Sa série dénonçant les tortures d’Abu Ghraib est particulièrement poignante. En mai 2004, le peintre découvre dans un magazine le récit des tortures infligées par l’armée américaine aux détenus iraquiens de la prison d’Abu Ghraib. La violence inouïe de ces actes choque d’autant plus l’artiste qu’ils sont commis par un pays extrêmement puissant et s’érigeant en défenseur des droits de l’homme. “C’est devenu une obsession, dit l’artiste, pendant 14 mois, je n’ai travaillé qu’à cela, pensé qu’à cela. ” Le résultat ? Un ensemble de 60 œuvres entre peintures et dessins que l’artiste a offert en 2007 à l’Université de Berkeley (Californie) afin que la mémoire de ces actes demeure présente aux États-Unis. Un travail d’une beauté effroyable qui vient donner une nouvelle profondeur à cet artiste, trop souvent réduit à sa recette, mille fois recyclée, au goût de cliché.
La leçon
“Je peins hommes, animaux, paysages, avec le seul souci de donner une sensualité à la forme, alors que la réalité est assez sèche. Un artiste doit être un homme sensuel capable de transmettre cette qualité qui rend la réalité plus séduisante. Si l’on voit un tableau peint par Picasso, Derain ou Cézanne, c’est la même orange, mais on sait voir qui l’a peinte. Comme on reconnaît une orange de Vélasquez ou de Giotto. Une orange, c’est une forme ronde toute simple. Si vous arrivez à ce que l’on dise que cette orange est peinte par vous ou par Botero (Orange, 1977), c’est que vous avez quelque chose à dire qui est personnel. Imprimer sa personnalité dans une forme simple est difficile. ” (Fernando Botero, 2 juin 2016, TEDx Beijing Salon)
Poids-lourd commercial
Pour 2022, avec un chiffre d’affaires estimé à 25 millions de dollars, le site Arprice classait Fernando Botero à la 79e position des artistes les plus performants. Ses toiles atteignent régulièrement 1,5 à 2 millions de dollars.
L’essentiel
Commissaire d’exposition et docteure en histoire de l’art, Cecilia Braschi résume avec une rare efficacité la démarche de l’artiste : “À la fois accessible à tout un chacun et inspirée de l’histoire de l’art de tous les temps, l’œuvre de Botero offre un regard familier, bienveillant ou ironique sur la société qu’elle met en scène dans toutes ses facettes, sans refuser, à l’occasion, de dénoncer la violence et les injustices de son époque. ”