A Gand, le Musée du Dr Guislain
Le plus ancien hôpital psychiatrique de Belgique accueille un musée exceptionnel. Histoire de la psychiatrie mais aussi antenne d'art différencié. Découverte d'univers détonants
Publié le 23-07-2003 à 00h00
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Auteur en 2000 d'un livre consacré à l'«Outsider Art » Colin Rhodes écrit : «Tous nous éprouvons le désir inné de créer des images et de communiquer ce qui serait indicible autrement... Certains d'entre nous deviennent des créateurs professionnels, c'est-à-dire des artistes au sens courant du terme. Mais il existe également un groupe riche et diversifié de «créateurs» en marge. Quelle que soit la définition qu'on leur donne, ils ne relèvent pas de l'art officiel. Ce sont les modeleurs par excellence, à l'oeuvre fascinante et forte. C'est le domaine de l'outsider art». Si Jean Dubuffet s'est à partir de 1949 intéressé de près à ces artisans de l'ombre auprès desquels il percevait une vérité artistique déjà alors trop édulcorée dans le cénacle des créateurs de métier, au point de s'exercer lui-même à la redécouverte des évidences premières, la collection de travaux irréguliers qu'il rassembla fait aujourd'hui les beaux jours du Musée de l'Art Brut de Lausanne. Il n'était pas le premier cependant à s'être senti à ce point interpellé par la création de spontanés pas toujours conscients de leur propre démarche. L'art des fous avait été étudié, commenté et rassemblé dès 1920 par un médecin d'Heidelberg, le fameux Prinzhorn, dont la fabuleuse collection fait toujours référence en la matière tant elle est variée, édifiante, plastiquement convaincante. Plus tard, André Breton et les surréalistes furent, à leur tour, subjugués par cette espèce d'écriture automatique qui répondait évidemment à leurs convictions créatrices profondes. Aujourd'hui, l'art brut - lequel englobe aussi bien les travaux des handicapés mentaux qu'un certain art naïf, voire des oeuvres d'artistes solitaires peu enclins à s'inscrire dans quelque courant que ce soit - s'offre diverses vitrines. A Bruxelles par exemple, la Galerie Art en Marge défend depuis 1984 ce type de création. Alors que la collection réunie par cette institution depuis vingt ans rayonne dans les salles temporaires du Musée du Dr Guislain sis à Gand, il paraît indiqué de se pencher davantage sur un musée tout à fait étonnant, qui se doit d'être l'un de vos buts de visite prioritaire.
Un hôpital et deux musées
L'imposant complexe du Centre Psychiatrique Dr Guislain, du Musée Dr Guislain et du Centre de Formation Guislain abritait autrefois l'Asile Guislain, asile d'aliénés masculins. Précurseur de la psychiatrie moderne et l'un des premiers en Belgique à déclarer que la folie était une maladie que l'on pouvait traiter, le professeur Joseph Guislain (1797-1860) consacra une bonne partie de sa vie à doubler ses activités médicales d'implications politiques aux seules fins d'obtenir les moyens de venir en aide à ses patients. En 1824 déjà, il avait dessiné le plan d'un hôpital pour les aliénés mentaux, lequel lui valut un prix de la Société des Beaux-Arts de Bruxelles. Nommé médecin-chef des aliénés de la ville de Gand en 1828, il devint le premier psychiatre officiellement reconnu des Pays-Bas méridionaux. Il participa activement au développement de la Loi sur le traitement des aliénés mentaux de 1850 imposant des règles plus scientifiques et humaines. Edifié à partir de 1853 dans un quartier entièrement rural et occupé partiellement dès 1857, le nouvel asile du Dr Guislain respirait, selon sa volonté, la paix, la liberté et la sécurité. Si, complété, revu et corrigé au fil du temps, l'hôpital psychiatrique accueille toujours des malades, depuis 1986, à l'initiative des Frères de la Charité, propriétaires des lieux, l'institution médicale s'est dotée d'antennes culturelles. Deux musées, également attractifs et révélateurs de l'évolution des soins psychiatriques depuis 150 ans, sont à ce point chargés d'histoire, de drames, d'émotions et de solutions heureuses que leur visite se mue en moment de bonheur.
Des chaînes aux couleurs
Si les chaînes et autres objets de torture hérités de l'ancien asile pour hommes du château de Gérard le Diable donnent autant le frisson que la machine à découper le cerveau malade, le Musée Dr Guislain de l'Histoire de la Psychiatrie mérite à lui seul une immersion prolongée tant les documents, les photos, les objets et jusqu'à l'ancienne disposition côte à côte des lits des déments, explicitent intelligemment les avancées médicales en la matière. Témoignages visuels et références pédagogiques diverses, à Freud ou aux camps de concentration notamment, parlent ici, franchement, d'époques où l'homme présumé fou s'apparentait à l'ennemi à enfermer, sinon à martyriser ! Un bel outil social.
Les connivences entre l'art et la psychiatrie sont visualisées en deux temps : dans la galerie d'art, où sont proposées, tout au long de l'année, des expositions temporaires de première qualité, plus souvent thématiques que monographiques; et dans le musée permanent, qui recèle des chefs-d'oeuvre de l'art outsider. Le Musée du Dr Guislain bénéficie en effet, depuis 2000, du prêt de la formidable collection de Stadshof, jadis exposée à Zwolle, en Hollande.
D'une richesse exceptionnelle, cette collection comprend des pièces majeures de l'Indien Nek Chand, dont un ensemble de sculptures énigmatiques frappe l'imagination; du Hollandais Willem van Genk, qui s'est fait une signature de circuits ferroviaires compliqués retracés sur de grands papiers saturés ou dans des maquettes prodigieusement insolites; de l'Anglaise Magde Gill, aux portraits vibrants d'intensité; du Croate Sava Sekulic, aux visages intrigants qui vous plongent au coeur de l'individu; de l'Américaine Rosemary Koczy et de beaucoup d'autres, étranges et profonds. But avoué de ce musée : convaincre le visiteur à s'intéresser à autrui et à ce qui est autre !
© La Libre Belgique 2003
Musée du Dr Guislain, Guislainstraat 43, Gand (09 216 35 95 et www.museumdrguislain.be). Du mardi au vendredi, de 9 à 17h; samedi et dimanche, 13 à 17h. Catalogues