Art, oeuvre ou brol dans la ville

«L'Homme de l'Atlantide» de Luk Van Soom a été inauguré avenue de la Toison d'or à Bruxelles.Un travail fort discuté. L'occasion de faire le point sur le débat lancinant de l'art en ville et des polémiques qu'il engendre.

GUY DUPLAT

DOSSIER

Hideux! Etonnant! Ringard! Sympa! Les avis sur la sculpture fontaine «L'Homme de l'Atlantide» de Luk Van Soom sont pour le moins divergents. Ce monumental homme-fontaine, placé à Bruxelles, entre la porte de Namur et la porte Louise, en face de l'hôtel Hilton, a été officiellement inauguré hier par le ministre bruxellois des Travaux publics Jos Chabert en présence de Dirk Frimout, puisqu'il est, lui, «l'homme de l'Altantis» (la navette spatiale).

Le débat sur l'art dans la ville est ainsi à nouveau lancé. Il n'a jamais été absent. Les si belles stèles de pierre de Florence Fréson à la rue de Stalle avaient déjà suscité la polémique. Comme le beau projet de Pierre Culot pour le square Montgomery refusé par un démagogique sondage populaire pour être remplacé par une fontaine sans originalité. Ou les belles spirales de Bernard Venet taggées avenue Roosevelt. Ou ces Strebelle qui s'étaient brusquement multipliés dans la ville avant de disparaître. Ou le Moeschal de la porte de Namur si discuté. Chaque fois, le débat est lancé. On aime ou on n'aime pas, on parle de pressions politiques et de lobbying artistique. Cet «Homme de l'Atlantide» est un bon prétexte pour relancer ce débat.

«C'est bien qu'il y ait débat», se réjouit Gita Brys-Schatan, administratice-déléguée de l'Iselp et présidente depuis 1996 de la Commission des arts dans les infrastructures de déplacement (CAID), une commission qui donne son avis sur tous les projets artistiques sur la voirie régionale bruxelloise. «L'art doit susciter le débat. Sinon il n'est plus qu'un objet de consommation fast food. Il n'y pas débat quand on présente un couple en marbre s'enlaçant devant la Monnaie, mais c'est alors sans intérêt. Quand Goya peignait les désastres de la guerre, cela suscita débat car cela avait un sens. Une oeuvre dérange toujours si elle est bonne.» Sa commission, le CAID, avait approuvé à l'unanimité la sculpture de «L'Homme de l'Atlantide, «car elle donne une idée d'irréalité, de puissance aussi en face du Hilton, explique la présidente. Elle introduit une notion de rêve qui dérange. Dans une ville sans repères, elle devient un lieu où les gens pourront se dire: rendez-vous à l'Homme de l'Atlantide.» Ce grand échalas de bronze comme enduit de crème fraîche, extraterrestre hyperréaliste, est inspiré d'un certain fantastique flamand. Il crache de l'eau par son sac à dos. «Je suis toujours inspiré par la mythologie, explique son auteur, je n'ai pas changé de style pour ce lieu-ci. Mais cela m'intéresse aussi d'imaginer que dans la capitale de l'Europe, cet homme surgit de l'eau comme un ambassadeur de plus, venu d'un autre continent.» La sculpture a coûté 125000 euros, précise-t-il.

Des oeuvres offertes?

Le CAID a été mis en place en 1990 par le ministre Jean-Louis Thys pour succéder à la commission métro. Celle-ci avait choisi des artistes pour toutes les stations de métro. L'idée était d'étendre cette présence de l'art sur les voies de surface cette fois.La commission est composée de 14 membres (une majorité sont des spécialistes d'art comme la directrice du musée d'Ixelles). Elle fut d'abord dirigée par Herman Liebaerts avant de voir Gita Brys-Schatan venir à sa tête. La commission a pour tâche de donner des avis au ministre de tutelle qui peut décider en toute liberté. Elle peut même dire au ministre qu'elle estime qu'il y a des lieux où il ne convient pas d'installer des sculptures. «En principe, nous choisissons des artistes belges, car il nous semble important de leur donner cette carte de visite vis-à-vis de l'étranger, continue la présidente. La commission, qui se réunit au moins une fois par mois, est soumise à des pressions venues de politiques et d'artistes qui posent spontanément leur candidature ou offrent même leurs oeuvres. On étudie tout en pleine indépendance et on refuse les cadeaux d'oeuvres ou de travailler avec des galeries. Mais il peut arriver que d'autres décisions soient prises au niveau du ministre.»

Les cadeaux

On sait que le Moeschal de la porte de Namur (une colonne en inox) n'est pas le projet initial de l'artiste. L'oeuvre devait être plus grande, en rouge japonais et éclairant vers le haut pour marquer le haut de la ville, mais le ministre changea les spécificités de l'oeuvre pour la rendre en inox. Parfois des responsables politiques font leur choix selon le fait du prince. Eux ou les communes peuvent aussi être pris au piège par des cadeaux (empoisonnés). Si un artiste offre une pièce, que faire? Folon a ainsi offert l'oeuvre du Sablon et la Russie a offert une sculpture pour le square Pouchkine.

A la ville de Bruxelles, grande commanditaire d'art dans la ville grâce à l'échevin Henri Simons, on a aussi une commission qui choisit les artistes, le CAU (Commission des arts urbains). Celle-ci comprend aussi des spécialistes comme Pierre Puttemans de la Commission des monuments et sites, Carinne Bienfait de Jeunesse et Arts plastiques et Michel Baudson, directeur de l'académie. Cette commission ne choisit plus, explique Carinne Bienfait, des oeuvres sur socle, des sculptures déposées. Elle préfère travailler en intégrant l'oeuvre dans son environnement comme le montre le travail de Peter Downsbrough au boulevard Jacqmain ou le travail demandé à Daniel Buren pour la place située en dessous du Sablon et sous le pont du boulevard de l'empereur. Bruxelles a aussi réussi le beau «coup» de placer la très belle «oreille tournante» de Calder en face du musée des Beaux-Arts. La CAU organisera à la fin de cette année un grand colloque sur l'art en ville. «Nous aussi nous aimerions mieux intégrer l'art et le quartier en travaillant par exemple sur la lumière, ou sur les banquettes d'arrêt de bus, mais les ministres aiment mieux les sculptures et les fontaines sur socle», explique Gita Brys-Schatan.

Les deux commissions sont d'accord pour refuser de soumettre les choix artistiques à des sondages populaires. Cela serait la pire des choses comme l'a démontré l'arrêt du travail de Pierre Culot au square Montgomery.

Les autres communes bruxelloises sont chaque fois responsables pour les voiries qui les concernent, des oeuvres qu'elles veulent y placer. Mais Ganshoren par exemple ne fait rien en la matière.

Le secteur privé peut aussi se manifester comme on l'a vu au boulevard Albert II (le WTC). Toute une série de sculptures sont diposées sur le terre plain avec entre autres les belles oeuvres de Tapta et Bury. C'est une initiative de Patrick De Pauw.

Le débat sur l'art public n'est pas clos. Nous y reviendrons avec des points de vue divers dans nos pages débats.

© La Libre Belgique 2003

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