Couac d'Europalia : Morandi bafoué !
Nous nous en faisions une fête, raté ! Navrant et scandaleux ! L'autre jour, dans un bon journal cependant, nous lisions déjà agacé, à propos d'une vente englobant quatre Morandi, que «le maître avait souvent répété un même sujet». Or, évidence, le sujet - ses bouteilles et pots en toutes sortes de déclinaisons spatiales - n'est rien en soi chez l'artiste bolognais (1890-1964).
- Publié le 09-10-2003 à 00h00
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Nous nous en faisions une fête, raté ! Navrant et scandaleux ! L'autre jour, dans un bon journal cependant, nous lisions déjà agacé, à propos d'une vente englobant quatre Morandi, que «le maître avait souvent répété un même sujet». Or, évidence, le sujet - ses bouteilles et pots en toutes sortes de déclinaisons spatiales - n'est rien en soi chez l'artiste bolognais (1890-1964).
Tout y est affaire de silence, de perception des valeurs qui nous entourent. Une question de lignes, de volumes, d'ambiances et de lumières. Ses couleurs si tendres, fragiles ou dominantes, sont le support direct de ces tensions de l'âme que captait, imperturbable, ce décrypteur d'émotions sublimées par la peinture. Nous l'avions vu ces dernières années à Bruxelles, Paris, Haarlem, Londres, Lisbonne. Le bonheur y fut au rendez-vous, magique, intense.
Or, voilà qu'à Bruges, tout fout le camp ! Preuve s'il en est qu'un accrochage médiocre banalise. Anéantit forme et esprit. Il nous faut fustiger l'accrochage, en effet. Enfourner soixante tableaux en trois petites salles sans rayonnement particulier est une gageure qu'aucun néophyte en la matière n'eut osé.
Aligner les toiles sur un même plan, les unes à côté des autres, tient autant de l'ineptie que du peu d'attention portée aux oeuvres. Et que dire de ça, lorsque les encadrements diffèrent de l'une à l'autre. Eclairer l'ensemble sans l'ombre d'une mise en lumière ajustée relève de l'incongru.
Affres d'un commissaire
Critique et commissaire indépendant, Renato Miracco s'était, lors de la présentation à la presse, montré empressé, «habité» par un projet dont il détaillait l'attrait : prouver que l'art de la nature morte, tellement mieux exprimé par l'anglais «Still Life», n'avait pas été une constante des seuls artistes du Nord de l'Europe, mais que l'Italie avait du répondant à faire valoir. S'en tenant au XXe siècle, avec Giorgio Morandi en proue d'un art de dire l'essence des choses, Miracco s'est voulu prospectif. Autour du Bolognais, il a réuni contemporains et successeurs dotés d'un regard peu ou prou parallèle. Pourquoi pas ! Le commissaire s'est battu, nous dit-il, pour obtenir plus d'espaces, d'autres éclairages, une reconfiguration des salles : peine perdue.
Gageons que sa démonstration du «Futurisme» au Musée d'Ixelles aura plus belle allure. Si le commissaire n'est pas coupable d'une mise en scène avortée pour cause d'incurie, la thématique et le choix des oeuvres ne sont pas sans reproches ! Témoigner du parcours de Morandi entre 1924 et 1963 était une bonne idée pour évaluer sa progression vers l'expression extrême de l'indicible.
Hélas, les pièces probatoires sont loin d'être toutes de première qualité. De plus, le confronter à la quinzaine d'artistes se bousculant dans le voisinage pèche par omission. Morandi scrutait l'infiniment ténu lové dans l'au-delà des objets, des espaces. Si un De Chirico, un Balla, un Carra, un Sironi, un Casorati purent lui donner le change, tel n'était pas le propos d'un Severini, attaché à d'autres conquêtes, ni de ces peintres convenus ou inutiles. Clore la «fête» sur Fontana, Manzoni ou Burri était pensée louable.
© La Libre Belgique 2003
Arentshuis, Dijver 16, Bruges (050.44.87.63). Jusqu'au 4 janvier, du mardi au dimanche, de 9h30 à 17h. Bon catalogue.