Le Musée Constant Permeke à Jabbeke

Retrouver Permeke, son «chez soi» conçu par un homme qui avait le sens des espaces et de la liberté créatrice, ainsi que le goût des arrière-pays généreux en émotions naturelles, c'est s'offrir un bonheur à la dimension d'un personnage qui était aussi une sorte de géant de la peinture. Géant dans la démesure comme dans l'immensité de sa vision des êtres et des atmosphères.

ROGER PIERRE TURINE

REPORTAGE

Retrouver Permeke, son «chez soi» conçu par un homme qui avait le sens des espaces et de la liberté créatrice, ainsi que le goût des arrière-pays généreux en émotions naturelles, c'est s'offrir un bonheur à la dimension d'un personnage qui était aussi une sorte de géant de la peinture. Géant dans la démesure comme dans l'immensité de sa vision des êtres et des atmosphères. Nous avons toujours aimé l'art de cet homme qui semblait déborder les limites de la toile par la richesse de ses propres débordements. Sa nature chaleureuse, explosive, bonhomme et pleine de bonne folie s'est, d'évidence, trouvé un exutoire à sa dimension dans le déferlement des pigments et huiles projetés sur des toiles souvent monumentales, engorgées de matières autant que de rires ou d'orages. Pensons à ses vastes marines mouvementées d'écumes et de vagues. Pensons, contraste souriant, à ses champs de blé dorés et lumineux. Entre les deux, demeurent, solides et sensibles, ses portraits de pêcheurs, de paysans, de fermières au four et au moulin. L'art de Permeke est un art majuscule, unique et fervent, passionné et délicat.

Et comme il semble inconcevable, plus d'un demi-siècle après sa mort, qu'un tel artiste ne soit largement réputé que sur ses propres terres! A l'étranger, cela demeure trop souvent le privilège d'artistes conscients de sa force plastique et de son originalité féconde. Bonne nouvelle, en septembre, une rétrospective sera montée au Gemeentemuseum de La Haye.

Né à Anvers, Constant Permeke (1886-1952) hérita de son père, Henri Permeke, peintre appréciable et premier directeur du Musée d'Ostende, un goût de l'art assorti d'une vision de la vie simple et proche du peuple. Quand la famille s'installa à Ostende, Constant avait six ans et il y croisa James Ensor, que fréquentait son père en tant qu'animateur du Cercle local des Beaux-Arts. Constant Permeke devint aussi naturellement peintre que d'autres, à l'époque, embrassaient une carrière de magistrat dans la bonne tradition familiale.

Les ferveurs d'un bon vivant

C'est plus tard, en 1907, qu'étudiant à Gand il rencontra ceux qui deviendront ses amis, ses pairs: Frits Van den Berghe, Gust et Léon De Smet, Albert Servaes. C'est à Gand aussi qu'il subit l'influence d'Emile Claus, le luministe apprécié et reconnu. La suite de son histoire picturale se trouve admirablement résumée dans l'exposition permanente de sa maison de Jabbeke, à dix bornes d'Ostende. Reconvertie en musée après la mort de l'artiste, elle porte son empreinte à travers tous ses dédales. On y découvre, à côté de trois huiles bienvenues de son père, les premiers essais du seul grand Permeke qui vaille (sa descendance artistique, florissante par le nombre, mais indigente par la médiocrité, est hélas à oublier au plus vite!).Des petits paysages charmants aux couleurs de miel et de verdure, des vues villageoises, un éblouissant portrait de sa mère datant de 1913. Il y a aussi des toiles de sa période anglaise durant la Première Guerre mondiale. Des peintures quasi abstraites, sortes de constructions chromatiques vite supplantées par des prises en charge autrement musclées du quotidien des pêcheurs d'Ostende après le retour de Permeke au pays.Avec ses objets africains, auxquels Permeke ne put être insensible, avec ses espaces conçus pour le cadre familial et pour le travail, avec son jardin admirable d'espace et de surprises, visiter cette maison c'est déjà mieux pénétrer l'univers d'un artiste qui aura conçu son oeuvre magistral au contact permanent des gens et des paysages d'une Flandre sourde aux artifices. Terminé au début des années trente, le site émergeait d'une nature vierge sans aucun doute surprise par une construction constructiviste de type fonctionnel inédite pour le coin. Aujourd'hui, bien sûr, la solitude des espaces n'est plus tout à fait la même mais, chance inestimable, vers l'arrière, le jardin ouvre toujours sur des fermettes à l'ancienne et des champs dans lesquels paissent, tranquilles, des vaches et chantent des coqs.Dans la demeure, de nombreuses photos rappellent utilement l'homme d'entrain que pouvait être ce Permeke qui adorait tirer à l'arc, festoyer avec ses comparses, rire à gorge déployée, remonter ses bretelles en prenant le temps. Ses photos nous indiquent aussi combien la famille vécut là heureuse. Impossible de vous détailler le parcours muséal dans ses détails, les coins et recoins déjouant les meilleurs plans. Tout y est à savourer. Avec deux haltes plus particulières, bouleversantes: les ateliers. Celui du peintre était à l'étage et son plancher de chêne y craque avec délices. Sur le chevalet, une toile inachevée, aux murs des dessins d'une solidité et d'une monumentalité exemplaires.

Deux ateliers

«Paysanne», «Fermier avec pelle», «Le mendiant», «Le semeur», «La glaneuse» sont de ces dessins au fusain qui vous coupent le souffle. Comme vous surprend cet «Over Permeke», une huile de 1922 au raccourci et à l'ambiance saisissants.

Et puis, à deux pas, il y a cet «Autoportrait» taillé dans le bois en 1940, emblématique d'une volonté à toute épreuve. On resterait des heures dans cet atelier à écouter le peintre se raconter sur la toile ou le papier! Permeke cependant ne fut pas seulement peintre ou dessinateur et ses sculptures sont disséminées à travers les différents espaces. Dans le jardin, où se lovent son admirable «Mari-Lou» et sa belle «Niobe».

Dans l'atelier de sculpture forcément, un espace bâti tout à côté de la maison, dans lequel ont aujourd'hui été déployées les plus grandes peintures. Ici aussi, on se prend à vouloir arrêter le temps pour éplucher à l'aise les moments de création intense qui s'y sont déployés. Il y a là de la terre séchée que malaxait hier Permeke. Il y a là des tableaux aussi fameux que «Le pain quotidien» (1950), «La moisson» (1928), «Le bienheureux» (1935), «Grande marine» (1935), «Maternité» (1936), «L'Adieu» (1948), «Paysage breton» (1951). Il y a ailleurs la suite de «Nus» peints, dessinés, sculptés par un Permeke qui savait le pouvoir des formes et des générosités. Une exposition estivale, peu convaincante malheureusement, réunit aussi Permeke et le sculpteur hollandais Armando.

© La Libre Belgique 2004


Museum Constant Permeke, Gistelsesteenweg 341, Jabbeke (050.81.12.88). Du mardi au dimanche, de 10 à 12h30 et de 13h30 à 18h.

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