Ravéreau, l'architecte du désert

Au sud de l'Algérie, dans une oasis du désert cachée par les ergs, se nichent les cinq cités du M'Zab: Ghardaia, Melika, Beni-Isguen, Bounoura et El Atteuf, alignées le long du lit de l'oued. Chaque ville a ses maisons blanches serrées sur un monticule autour de sa mosquée avec à ses pieds, la palmeraie. Les Mozabites ont trouvé refuge dans ce désert fuyant jadis les envahisseurs arabes.

GUY DUPLAT

RENCONTRE

Au sud de l'Algérie, dans une oasis du désert cachée par les ergs, se nichent les cinq cités du M'Zab: Ghardaia, Melika, Beni-Isguen, Bounoura et El Atteuf, alignées le long du lit de l'oued. Chaque ville a ses maisons blanches serrées sur un monticule autour de sa mosquée avec à ses pieds, la palmeraie. Les Mozabites ont trouvé refuge dans ce désert fuyant jadis les envahisseurs arabes. Ils y ont développé une architecture simple et superbe, toute en courbes, trouvant naturellement la voie de la lumière et de l'ombre, du travail et de la détente. Quand l'architecte français André Ravéreau découvre cette oasis de beauté, c'est le choc émotionnel et, par-delà, la conscience que cette architecture séculaire peut apporter à l'architecture contemporaine de nouvelles pratiques.

André Ravéreau était hier à Bruxelles, à l'invitation du Civa pour donner une conférence dans le cadre de l'exposition en cours sur l'alter architecture.

A Ghardaia, Ravéreau fonde l'«atelier du désert» qui verra se succéder des générations de jeunes architectes venus se confronter à cette gestion du territoire respectueuse du contexte naturel et des cultures locales. Un livre, «André Ravéreau, l'atelier du désert», dirigé par Rémi Baudouï et Philippe Potié (éditions Parenthèses), regroupe plusieurs articles sur l'oeuvre de cet architecte. Pour Ravéreau, «l'architecture se devait de revenir aux sources de l'histoire pour mieux échapper à ses propres démons d'une modernité sans usage, sans présent ni futur». Là, dans le désert, il propose de «s'intéresser au lieu, aux traditions, au climat, pour inscrire le projet d'architecture dans l'épaisseur d'une culture, privilégiant l'enracinement dans le site».

Les moustiques du M'Zab

La leçon du M'Zab, c'est faire table rase de ses multiples préjugés pour se mettre à l'écoute des besoins, dans leur nudité originelle. L'architecture selon Ravéreau était déjà écologiste et de développement durable avant que ces concepts ne fleurissent.

Aujourd'hui, à 86 ans, il constate que l'environnement s'est à ce point dégradé qu'il devient difficile de bâtir encore à partir des solutions locales et séculaires. « Le M'Zab, nous dit-il, était traditionnellement protégé des moustiques et on pouvait l'été dormir sur les terrasses. Mais aujourd'hui, on a tant rejeté d'eau dans les nappes phréatiques que les moustiques sont venus. Il n'y a plus moyen de dormir sur les terrasses et les gens doivent installer un conditionnement d'air dans leurs chambres. On doit dorénavant construire des scaphandres pour habiter sur terre. A la Méditerranée, il y a tant de pollutions diverses, y compris sonore, que les modes de vie anciens ne sont plus possibles. On cherche à habiter sur la lune mais on ne sait plus habiter sur terre. Il faut absolument retrouver un art de vivre sur terre. Même le climat fout le camp, si important pourtant dans la manière de concevoir l'architecture, y compris le gothique du sud qui n'a pas les verrières du nord. Si j'ai un conseil à donner aux jeunes architectes, c'est de s'attaquer à la pollution et à tout ce qui détruit notre mode de vie. J'ai cru satisfaire un milieu physique par mon architecture mais ce dernier disparaît. Cette nature à qui j'ai tout dédié, il faut la préserver, c'est la leçon de ma vie.»

Les architectures vernaculaires qu'il a croisées en Grèce, en Algérie, au Caire, apportent une richesse fonctionnelle et culturelle, une écologie des matériaux, devant laquelle l'architecte contemporain doit s'incliner et qu'il doit éviter de casser par ses aspects formalistes. «Il faut distinguer l'architecture vernaculaire qui est celle qui s'adapte aux conditions d'un lieu, de l'architecture populaire. Avant le XXe siècle, on le faisait spontanément. L'architecte se contentait de fioritures sur la façade, alors que le maçon et l'usager savaient ce qu'il fallait faire. Aujourd'hui, c'est plus complexe et l'architecte doit retrouver ces valeurs perdues et être humble pour s'inspirer aussi de solutions passées.»

Qualité et sensibilité

Ravéreau ne rejette pas les grands gestes architecturaux contemporains, « mais ce n'est que de l'architecture de représentation comme on en fait depuis les Egyptiens». Mais quel est alors l'apport du beau et de l'esthétique dans son architecture basée sur l'homme et son mode de vie? Qu'est-ce qui différencie une maison de Ghardaia de la chapelle de Ronchamp du Corbusier? « Question difficile et pertinente. Se pose la question de la qualité qui procède de l'intelligence et de la sensibilité de celui qui construit.»

© La Libre Belgique 2006

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