La folle créativité chinoise

C'est le lieu le plus "in" de Pékin. Les expats et les branchés chinois y passent leurs après-midi libres à parcourir les galeries d'art contemporaines, l'équivalent chinois de l'ex-Soho ou de Chelsea à New York. C'est le "798 art district" à Dashanzi, au nord-est de la ville, sur la route de l'aéroport dans une zone en plein boom immobilier.

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La folle créativité chinoise
©Guy Duplat

envoyé spécial à pékin C'est le lieu le plus "in" de Pékin. Les expats et les branchés chinois y passent leurs après-midi libres à parcourir les galeries d'art contemporaines, l'équivalent chinois de l'ex-Soho ou de Chelsea à New York. C'est le "798 art district" à Dashanzi, au nord-est de la ville, sur la route de l'aéroport dans une zone en plein boom immobilier.

Il faut imaginer une immense friche industrielle, comme une ville, un ex-complexe d'usines d'électronique et d'armement monté par les Allemands de l'Est dans les années 50 dans un style néo-Bauhaus (des voûtes laissent passer une lumière naturelle zénithale). Le site a accueilli jusqu'à 20000 ouvriers. On voit encore les traces de ce haut lieu de la technologie communiste : tuyaux de vapeur striant les ruelles du site, slogans révolutionnaires maoïstes sur les murs. Une partie du site est toujours occupée par des usines qui fleurent encore les années 50 : cheminées fumantes, ouvriers en vélo, labyrinthes de couloirs noirs de suie, circuits mystérieux de tubes, à hauteur des yeux.

Usine est-allemande

Le site de Dashanzi a commencé à dépérir à la mort de Mao il y a 30 ans. Et au début des années 2000, des artistes ont investi le lieu, installé leurs ateliers, squatté les espaces. Les tags ont fleuri sur les murs et les Mao kitsch ont commencé à côtoyer les vraies statues militantes de la révolution culturelle. Le "798 art district" a joué un rôle majeur pour libérer et exposer la créativité des artistes chinois. Pas toute cependant, car la censure et l'autocensure rodent. Encore aujourd'hui, des "policiers" viennent à chaque vernissage surveiller qu'il n'y ait pas d'oeuvres subversives ou d'oeuvres montrant des nus.

Les frères Zhen et Qiang Gao font partie des artistes qui ont leur atelier au "798". Ils travaillent ensemble depuis 20 ans, et sont photographes (les dernières rencontres d'Arles leur ont rendu un bel hommage), performeurs, sculpteurs, vidéastes. Ils ont exposé à New York, Berlin, Paris. Ils viennent d'ouvrir au "798" un espace d'expo pour montrer le travail d'artistes amis. "Pendant 14 ans, de 1989 à 2003, nous racontent-ils dans leur atelier, nous avons été interdits de sortie pour avoir signé une pétition en faveur du dissident Wei Jingshen." Une de leurs séries de photos montre des hommes nus entassés dans une bibliothèque, oeuvre ressemblant à un ancien retable. "Il était impossible jusqu'il y a peu, de montrer en Chine, une oeuvre comme celle-là car on y voit des nus". Ils posent pour nous à côté de leurs statues de "Miss Mao", des Mao aux attributs outrancièrement féminins. Il y a même une Miss Mao accouchant d'un dragon. "Nous ne pouvons toujours pas montrer cela en Chine !" Mais chacun à Dashanzi sait comment les voir derrière un rideau, il y a de l'hypocrisie dans tout cela, précise un galeriste. Les Gao multiplient à travers le monde leur performance "Hug" qui consiste à demander à une foule anonyme de se faire une longue étreinte. Ils veulent faire de cet acte une performance mondiale chaque 11 septembre.

Cet été, à Dashanzi, on pouvait voir dans les dizaines de galeries d'art contemporain, les artistes déjà renommés mais aussi Miao Xia Chin qui reprend les thèmes de la peinture occidentale (le lavement des pieds par exemple), Dong Jun avec de superbes photos de villageois ou Qiu Zhji qui réinvente l'archéologie des textes.

Les artistes émigrent

De multiples menaces pèsent sur Dashanzi. D'abord, son succès même, son "grand bond en avant" vers la réussite sociale qui participe du boom incroyable sur l'art contemporain chinois dont certaines oeuvres se vendent aujourd'hui à un million de dollars ! Le lieu devient le rendez-vous des "bobos" (bourgeois bohèmes). Le café Illy y coûte le prix de celui au Sablon à Bruxelles (alors qu'à côté, on mange très bien pour un euro !). Les restos branchés, les boutiques de fringues et les galeries internationales ont pris, petit à petit, la place des artistes émergents. Les loyers ont grimpé en flèche et les artistes cherchent d'autres lieux où ils trouvent des espaces plus grands à prix réduits. Ils émigrent à Huanjie, Songzhuang et surtout Caochangdi, près de Dashanzi. Mais même ce lieu-là commence à son tour, une "gentryfication". "Platform for China" vient d'y ouvrir un grand espace et l'architecte artiste Ai Weiwei y a construit un bel ensemble qui comprend une énorme galerie de photographie ("Three shadows photography art centre"), d'une surface rarissime en Europe, lancée par les photographes chinois RongRong et Japonais, Inri.

Il y a aussi la menace immobilière. Le propriétaire de la friche (la société "Seven stars") menace régulièrement de chasser les artistes afin de transformer le site en résidences luxueuses. Pour l'empêcher, le créateur de Dashanzi, l'artiste Huang Rui et sa compagne, la Française Berenice Angreny, ont créé en 2001, le festival 798 qui a lieu chaque année (cette fois, en septembre) et qui a un retentissement qui empêche la fermeture du lieu. Et surtout, la création très attendue (lire à la page suivante) du centre de Guy Ullens viendra pérenniser le site. Quant à la censure, elle diminue fortement et les galeristes espèrent beaucoup des jeux olympiques. Ce sera le moment pour les artistes de montrer tout leur travail. Les autorités seront alors sous la loupe de 25000 journalistes venus pour les jeux mais aussi pour ausculter la société chinoise. La censure pourrait y mourir définitivement.

Lire aussi, à la page suivante, notre interview avec Guy Ullens.

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