De Ghelderode à René Péchère

Avoir dans la poche, encore tout chaud, le diplôme de l'Institut pour Journalistes de Belgique, et pratiquer couramment des interviews d'écrivains pour le Journal "Les Beaux Arts", à Bruxelles, c'était devenir, pour moi, un des pisteurs désignés pour suivre à la trace, dans cet hebdomadaire dirigé par le Français Lionel Giraud-Mangin, les lumières et les ombres portées de l'Expo 58.

Luc Norin

Avoir dans la poche, encore tout chaud, le diplôme de l'Institut pour Journalistes de Belgique, et pratiquer couramment des interviews d'écrivains pour le Journal "Les Beaux Arts", à Bruxelles, c'était devenir, pour moi, un des pisteurs désignés pour suivre à la trace, dans cet hebdomadaire dirigé par le Français Lionel Giraud-Mangin, les lumières et les ombres portées de l'Expo 58. Ainsi, ce sont moins des "souvenirs" qui nous parviennent de cet espace-temps, mais des plages visuelles, auditives, des rencontres d'esprit et d'âme qui reviennent nous manger dans la main.

Les nacelles qui circulaient de façon ininterrompue au-dessus de l'Expo nous permettaient de revoir de haut les itinéraires que nos pieds inventaient au quotidien. A commencer par le Palais 7, "Salon des Lettres françaises de Belgique" dont le fascinant tapis violet conduisait à la "Carte" géographique exécutée par Paul Delvaux où figuraient, (recensés par Carlos de Radzitzky) les hauts lieux littéraires, châteaux, villes, coins perdus, qui portaient trace de la présence de nos écrivains les plus connus, voire du passage de quelques Français célèbres. Elle jouxtait une bibliothèque gorgée de livres et de documents précieux, près d'un incroyable kiosque où avaient été réunis meubles, objets, mannequins avec lesquels Ghelderode vivait quotidiennement.... Mais ils lui manquaient tellement que l'écrivain s'installait parfois au milieu d'eux, dans une totale immobilité, pour tenter de retrouver son univers. Or, voilà qu'un matin, une "technicienne de surfaces" pénétra dans le kiosque et aspergea soigneusement d'anti-mite tout ce qui ne bougeait pas. Ghelderode était là, les yeux ouverts ! Il survécut. Sa voix, de toutes façons, était conservée dans ce déjà célèbre "Musée de la Parole" créé, contre vents et marées, par Pauk Hellyn, plusieurs années avant l'Expo. Collection unique au monde qu'il enrichissait ici quotidiennement en capturant, dans le piège de ses micros du Palais 7, les écrivains de passage. Pasteur Vallery-Radot fut l'un deux. Il écrivait alors un nouveau livre : "Médecine à l'échelle humaine" et trouvait l'Atomium très beau... la nuit (!) et répétait : "La vie, il faut la brûler : il ne faut pas la mener à petit feu." Il y avait aussi Françoise Sagan qui nous avouait ses préférences pour Saint-John Perse, Desnos, Char, Eluard surtout. Sagan dont une consoeur nous disait : "regarde, elle a des yeux d'oiseau ! sombres, pointus....".

René Péchère, concepteur et réalisateur du célèbre "Jardin des Quatre-Saisons" (où Vivaldi colorait ses images sonores), nous gratifia d'une très longue promenade au cours de laquelle il nous expliqua ses moindres intentions. Sa conclusion : "Pour être architecte de jardins, il faut posséder à la fois des notions d'histoire, de peinture, de sculpture, dessin, musique...".

Et tandis que nous cheminions, Pasternak recevait le Nobel de littérature, le poète Carco mourait, et le peintre Vlamynck. Quelques années plus tard, on dynamiterait l'admirable "Flèche du génie civil" de Moeschal.

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