Deux heures d'angoisse

L'expo 58, "La Libre" y était évidemment. Souvenirs de nos journalistes, les aînés et ceux qui n'étaient alors encore que des enfants ou des jeunes adolescents. Michel Konen, Guy Duplat, Françis Maththys, Marcel Jacques et Luc Morin témoignent.Le supplément gratuit Expo 58

Marcel Jacques
Deux heures d'angoisse
©BELGA

Au cours de mes 37 années sublimes au sein de la rédaction de "La Libre Belgique", je fus l'incontestable amoureux des grands travaux publics: entre autres, la Gare Centrale et la Jonction Nord-Midi entamée sous Léopold II, les tunnels de la Petite Ceinture de Bruxelles, la Bibliothèque Albertine et le réaménagement du Mont-des-Arts, la création du Ring autour de Bruxelles et sa bretelle routière et ferroviaire jusqu'à l'aéroport de Zaventem, l'extension du port de Zeebrugge, le réensablement des plages de l'Est rongées par la mer,.... Je ne fis pas que cela, oh que non, mais ce fut là mon dada, au point qu'un éminent confrère (et comment pourrais je m'abstenir de citer ce cher Robert Delmarcelle) avait fini par me surnommer "Monsieur Poutrelles". C'est ainsi que, tout naturellement, je fus amené à me passionner pendant plus d'un an, avant, pendant et après, pour l'Expo 58. Pourtant, si vous me demandez un souvenir émergeant de tout ce que j'y ai vu, et j'en ai tout vu, et de tout ce qu'y ai vécu, l'embarras du choix me rend perplexe. Finalement, du bouillonnent de ma mémoire, deux souvenirs très personnellement vécus m'ont accroché. Curieusement,, ce sont deux moments d'anxiété que j'ai connus parmi les merveilles du Heysel en fête.

La veille de l'ouverture, je fis en soirée un dernier petit tour sur le site de l'Expo. C'était affreux! Un peu partout des gens s'affairaient fébrilement à décharger des camions et camionnettes des mobiliers et des objets divers à destination de maints pavillons. Mais il y avait pire: en sortant de l'enceinte, je longeai le pavillon des Pays-Bas. Ses abords nétaient qu'un terrain vague parsemé d'épaves. J'hésitai à retourner au Journal pour décrire cette catastrophe qui attendait les milliers de visiteurs du lendemain. Fort heureusement, j'y renonçai. Le lendemain matin, je repassai là. Champions du jardinage, nos voisins Bataves avaient fait place nette et déroulé des hectomètres de bandes de gazon ras tondu. Leurs vaches me regardèrent passer avec satisfaction. Je pus galoper à l'aise derrière la voiture du roi Baudouin montant vers l'auditorium où allait se tenir la séance inaugurale.

Mon second souvenir angoissant se situe au dernier soir de l'Expo. Pour être certain de voir parfaitement le feu d'artifice de clôture, j'avais choisi d'aller l'admirer depuis le viaduc qui surplombait une partie du site du côté du pavillon français, je crois. Hélas, d'autres avaient eu la même bonne idée. Tandis que les fusées multicolores striaient le ciel, mon épouse et nos cinq enfants se virent de minute en minute de plus en plus coincés contre la balustrade au point d'en être vraiment blessés des jambes au thorax selon la taille de chacun. Avec peine, il me fallut sauver notre petit dernier en le hissant sur mes épaules. Jamais je ne fus plus soulagé dans ma vie qu'après le bouquet final. Dans les applaudissements la cohue se disloqua rapidement dans la nuit subite qui tombait sur l'Expo défunte.

Des expositions universelles et internationales, j'en ai vu plus d'une. Encore enfant, à la main de ma grand-mère, j'avais parcouru celle d'Anvers en 1930. Pour celle de Bruxelles en 1935, nous fîmes en classe un concours à qui s'y rendrait le plus souvent. Sans l'avoir gagné, j'y allai 78 fois, au prix de quelques jours d'école buissonnière. Après l'Expo 58, j'eus l'honneur d'être "l'envoyé spécial" de "La Libre Belgique" à l'Expo de Montréal en 1967, ainsi qu'à celle d'Osaka en 1970. Ma main sur le coeur, Foi de Marjac, je crois pouvoir vous certifier que jamais il n'y a eu, jamais plus il n'y aura d'exposition universelle et internationale aussi imprégnée de charme et de douceur de vivre que notre Expo 58. I-nou-bli-able.

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