Un centre d’art dans une maison particulière

Sous peu Bruxelles va s’enrichir d’un nouveau centre d’art contemporain totalement privé et ouvert au public. Un acte de pure générosité d’un couple de collectionneurs français qui a choisi de poser ses valises dans notre capitale européenne en venant de Paris. Une famille au complet avec quatre enfants !

Claude Lorent
Un centre d’art dans une maison particulière
©D.R.

Sous peu Bruxelles va s’enrichir d’un nouveau centre d’art contemporain totalement privé et ouvert au public. Un acte de pure générosité d’un couple de collectionneurs français qui a choisi de poser ses valises dans notre capitale européenne en venant de Paris. Une famille au complet avec quatre enfants !

Le projet n’est pas seulement ambitieux, il est surtout très original. Il vient aussi particulièrement bien à point au moment où les pouvoirs publics, en l’occurrence les musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, relèguent l’art contemporain aux oubliettes dans un irrespect total des artistes, du public et de ses missions. Et il ne faudrait pas que lesdits pouvoirs fédéraux s’abritent derrière les initiatives et les bonnes idées des privés pour se dédouaner des devoirs dus à leur charge ! On en reparlera certainement, mais, pour le présent, saluons plutôt comme il se doit, c’est-à-dire avec enthousiasme, ce nouveau projet qui innove en matière de gestion des expositions et se situe d’emblée au meilleur niveau de qualité.

Myriam et Amaury de Solages, bien qu’ils soient atteints irrémédiablement du virus de l’acquisition d’œuvres d’art, ne se considèrent pas comme des collectionneurs frénétiques qui construisent une collection selon un plan bien établi. Figurez-vous qu’ils fonctionnent aux coups de cœur. Si, même à ce niveau, ça existe. Ils sont de véritables amateurs, de ceux qui aiment l’art pour lui-même, “pour ce qu’il peut procurer d’émotion” !

Les premières cibles, voici une bonne vingtaine d’années – lui provient de la famille David Weil, célèbre pour ses collections; elle est passionnée depuis l’enfance et multiple les visites en solitaire – furent des boîtes en argent, chinées à Paris. Rapidement, l’éclectisme sera leur route sans s’imposer d’exclusive ni se fixer une seule voie, stylistique ou autre. Pas d’a priori, la curiosité guide leur regard et même si l’art contemporain domine très nettement, une belle pièce d’art ancien n’est jamais à exclure ni davantage une statuaire africaine, voire même un très bel objet d’un fin artisanat actuel. Et comme ils n’ont pas la prétention d’être des spécialistes, dès qu’il s’agit de domaines anciens ou spécifiques, ils s’adressent à des experts fiables, à de vrais connaisseurs, avant de concrétiser l’achat d’une pièce convoitée.

Ils ne pratiquent pas vraiment autrement quand il s’agit d’art contemporain puisqu’ils acquièrent leurs œuvres essentiellement en galeries d’art qui vont des plus cotées aux plus jeunes, car ils ne recherchent pas la signature prestigieuse ou l’artiste qu’il faut absolument ajouter à sa panoplie parce qu’il est à la une de l’actualité ! “Chaque achat est une sorte de rencontre amoureuse ! Le déclencheur n’est jamais un mécanisme cérébral, même si, inévitablement, il intervient; non, c’est l’émotion. La pure émotion. Il faut que l’œuvre nous parle, qu’elle soit une véritable rencontre personnelle.”

Une rencontre à trois, car cette émotion doit être partagée par le couple qui se connaît bien en matière d’affinités artistiques, car la plupart des pièces repérées individuellement sont au bout du compte les mêmes ! Leur projet de “Maison particulière, centre d’art”, porte parfaitement son nom car si le lieu, une ancienne maison de maître transformée en habitation contemporaine avant qu’ils l’achètent voici près de deux ans, a désormais la fonction d’un white cube et n’est plus réellement habitée puisque totalement dévolue à sa vocation de centre d’art, il a cependant conservé les volumes et les allures d’une habitation moderne et spacieuse avec, à l’arrière, de grandes baies vitrées.

Au centre, une ascenseur ovale, vitré, superbe, à la mécanique visible, donne accès aux quatre étages dans lesquels chaque espace se démarque par son caractère d’autant plus qu’interviennent des dispositifs et du mobilier qui confinent à une ambiance d’habitation privée dans laquelle les œuvres d’art trouvent leur place naturellement et non pas en mise en scène muséale. L’art, adroitement valorisé par le couple qui tient à ce rituel de la mise en place, y vit dans une relation de convivialité avec le regard du visiteur qui se sent comme invité à partager un moment riche et particulier.

Pour les membres de l’association à laquelle chacun peut s’affilier, la bibliothèque sera accessible ainsi qu’une salle à l’étage. Le partage semble bien le maître mot du projet, puisque les de Solages n’y montrent pas uniquement leur collection présente surtout dans leur habitation privée à Bruxelles.

Pour chaque accrochage, ils convient un artiste et quelques personnes passionnées d’art à proposer des œuvres à partir d’une thématique donnée, volontairement assez ouverte. Et le choix final s’opère en commun, dans la diversité des approches.

Pour la première, le fil rouge est le mot “Origine(s)” à considérer dans tous les sens : de l’œuvre, de la passion, du monde, de l’art… Cinq invités ont été conviés à réaliser cet ensemble initial autour de Myriam et Amaury de Solages. L’artiste est le Néerlandais Pieter Laurens Mol, pour qui “la notion d’origine(s) renvoie aux sources à partir desquelles toute vie est stimulée”. S’y joignent, le célèbre galeriste parisien Daniel Templon; Jacques Billen, l’expert en archéologie et antiquaire au Sablon; le galeriste parisien d’Acte2 Alexandre Percy et aussi, pour un regard littéraire, Victor Ginsburgh, professeur émérite et chercheur en économie de l’art et de la culture, qui propose un choix de textes poétiques de Borges à Rimbaud en passant par Kerouac, Cioran, Patti Smith… Et cela débouche sur une exposition foncièrement originale, diversifiée, dans laquelle, même pour des connaisseurs, les découvertes ne manquent pas et à laquelle s’ajoutent, présence bruxelloise oblige, l’un ou l’autre clin d’œil.. Surprise !

Le parcours s’effectue à pas feutrés, dans une atmosphère qui rend chaque œuvre proche du visiteur. Au mur, accrochées dans l’espace, plantées dans le jardin, en version livresque adaptée, chaque pièce est une individualité bien préservée vivant en bonne entente avec ses voisines. Et voici donc quelques œuvres historiques (années 60 et 70) de Boltanski, Buren, Ben ou encore Martin Barré, voire Andy Warhol.

Plus récentes, elles sont d’Angelo Musco – une photo murale franchement extraordinaire de 13 mètres de long ! –, de Sugimoto, d’Anish Kapoor (immense pièce concave biseautée), d’Antony Gormley, de Robert Longo, d’Adam Fuss… également de Manuel Geerinck, de Gauthier Hubert, de Thomas Lerooy, de Jeanne Susplugas, de Josep Niebla… le tout en compagnie d’un mobilier sélect, d’objets artisanaux magnifiques et d’œuvres de la collection privée d’archéologie égyptienne de Jacques Billen.

Un enchantement artistique sous le sceau de la singularité.

Maison particulière. Centre d’art. Rue du Châtelain, 49, 1050 Bruxelles. Ouverture au public à partir du 5 mai. Exposition “Origine(s)” Jusqu’au 2 juillet. Du mercredi au samedi de 11h à 18h. Mardi réservé aux groupes sur réservation. Contact : Carole Schuermans. info@maisonparticuliere.be www.maisonparticuliere.be

© La Libre Belgique 2011

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