Une biennale citoyenne et urbaine

Pour sa deuxième édition, la Biennale d’art contemporain de Bordeaux, Evento, confirme la direction prise lors du galop d’essai de la mouture initiale. La biennale s’ancre dans plusieurs quartiers et lieux de la ville, se distingue fondamentalement des manifestations classiques du genre (Venise, Lyon, São Paulo ), affiche clairement sa personnalité et ses intentions.

Claude Lorent
Une biennale citoyenne et urbaine
©DR

Envoyé spécial à Bordeaux Pour sa deuxième édition, la Biennale d’art contemporain de Bordeaux, Evento, confirme la direction prise lors du galop d’essai de la mouture initiale. La biennale s’ancre dans plusieurs quartiers et lieux de la ville, se distingue fondamentalement des manifestations classiques du genre (Venise, Lyon, São Paulo ), affiche clairement sa personnalité et ses intentions. Quelque chose est en train de changer dans la relation à l’art, dans la manière de "faire" de l’art, dans l’approche de l’art, et c’est à Bordeaux que ça se passe. Une telle mutation ne se réalise pas en un tour de main ni en une étape, peu importe, mais le modèle est là qui se construit et poursuivra sa route non pas en ligne droite, plutôt avec les méandres découlant des rencontres et dialogues.

Très internationale comme la plupart des biennales d’art, Evento a été confiée cette année non pas à un commissaire historien ou critique d’art ou à un responsable de musée, mais à un artiste ! Et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit de Michelangelo Pistoletto qui, à 78 ans, n’a rien perdu de sa dynamique prospective qu’il nourrit constamment au sein de sa Cittadellarte à Biella (Italie du Nord) où des ateliers permanents réfléchissent l’art en étroite liaison avec les données culturelles, sociales, économiques, sociétales et politiques, du monde d’aujourd’hui. Inutile de préciser que le lieu est un bouillonnement d’idées avec une remise en cause constante.

Le maire de Bordeaux, Alain Juppé, envisage la culture comme "un projet de société, un objet à part entière du champ citoyen qui avance et se construit avec, pour, à travers le social, l’économie, l’urbain, l’écologie " Et d’ajouter : "La culture est aussi l’une des réponses durables au contexte de crise, je la conçois comme un investissement et non comme une dépense". Pas seulement un discours puisque pendant les dix jours de la biennale qui ressemble à un festival, à une fête, à une immense rencontre avec le public, tout est axé sur le partage avec les citoyens dans une ville où la vie associative est très présente et où chaque quartier constitue une petite entité distinctive qui se relie néanmoins à l’ensemble. C’est donc en tenant compte de ces réalités bien présentes au menu journalier des habitants que Pistoletto et son équipe ont travaillé pendant plus d’un an, sur place, à l’élaboration d’une programmation basée sur la participation "et en faisant en sorte que des processus en gagés puissent perdurer après Evento".

La manifestation ne joue ni sur le vedettariat artistique, ni sur les enjeux spéculatifs de l’art et se sert des lieux artistiques musées ou endroits connotés, au même titre que l’espace urbain et d’autres occupés temporairement pour la circonstance. De cette manière le musée, que l’on dit souvent réservé à une élite, fait partie d’un tout au même titre que n’importe quel autre site et se donne une chance d’attirer progressivement un public plus large.

Les deux expositions ouvertes dans le cadre d’Evento, au CAPC et au Musée d’Aquitaine, sont centrées sur des problématiques en liaison directe avec l’orientation de la biennale. Au CAPC, avec l’invitation adressée au Van Abbemuseum d’Eindhoven, les visiteurs sont invités "à réfléchir à la relation entre les spectateurs et les œuvres d’art comme objets d’observation" dans un contexte qui est à la fois urbain et global, autrement dit dans un voisinage de proximité immédiate et physique et dans un autre plus lointain mais pourtant tangible et bien réel. On passe de l’univers carcéral à des évocations historiques précises à travers une trentaine d’œuvres d’Absalon, Farocki, Schütte, Pistoletto, Solakov

Au musée d’Aquitaine, les artistes invités occupent des salles disséminées dans le musée et évoquent les questions de l’esclavage, de l’immigration, de la domination et de la soumission, des conséquences du colonialisme notamment économique. Excellentes œuvres des Kentridge, Pascale Marthine Tayou, Shilpa Gupta et le discours de Nehru, Marzia Migliora et son théâtre Aux Abattoirs, graphistes et bédéistes imaginent Bordeaux en 2030 et son million d’habitants.

Néanmoins la plupart des événements et manifestations dont l’ouverture a été marquée par une performance de Pipo Delbono, en plein air, Place de la Comédie qui ne pouvait mieux porter son nom, se déroulent en ville avec la complicité d’artistes dont le rôle principal est d’entrer en dialogue avec les personnes et d’envisager avec eux des activités qui sont autant d’ateliers vivants, associant les arts plastiques, la danse, la musique mais aussi les formes populaires. Ainsi place Meunier a été installé un théâtre évolutif construit avec des bois de récupération, le Marché des Capucins se transforme en Palace; la Halle des Douves, belle architecture métallique de style Baltard abandonnée depuis des années devient la Maison de la vie associative et sera restaurée et il existe même, sur la Garonne, une maison flottante, quasi autonome, avec potager et chèvres !

Grâce à tous les artistes invités, Bordeaux vit pendant dix jours au rythme des arts et dynamise son avenir. Il est évident que dans une telle manifestation l’art sort de ses ghettos, s’engage dans une voie humaine, sociétale, participative, qui n’exclut nullement la création, mais l’oriente et ce dans un décloisonnement auquel participent architectes, urbanistes, sociologues et les publics concernés, y compris les visiteurs invités à s’impliquer.

Evento. Biennale d’art contemporain. Jusqu’au 16 octobre. La manifestation est entièrement gratuite. Renseignements et programmation www.evento2011.com

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