L’esprit pris en photo

Belle exposition, sereine et spirituelle, à la Centrale à Bruxelles. C'est l'entrée en matière de la nouvelle directrice, Carine Fol.

Guy Duplat
L’esprit pris en photo
©Courtesy of Geoerge and Betty Woodman and Marian Goddman Gallery

L’exposition de photographies "Mind-scapes, paysages mentaux" qui s’est ouverte à la Centrale, centre d’art contemporain de la ville, au centre de Bruxelles, marque l’arrivée à la tête du lieu, comme directrice artistique, de Carine Fol, qui était jusqu’ici à la tête du musée Art&Marges (lire notre interview dans "La Libre" du 16-6). Dès l’entrée, on sent son influence. La scénographie a été modifiée. Le lieu respire, même s’il manque encore la manière de mieux voir l’endroit depuis la place Sainte-Catherine. La Centrale reste comme cachée.

Cette exposition inaugurale est un paradoxe. Elle fait partie de "L’été de la photographie" qui a comme thème cette année le paysage, mais il s’agit ici des paysages mentaux, de la cartographie de l’esprit, du corps qui se fond dans le paysage ou du paysage qui devient corps. Un paysage ici, extraordinairement humain. L’autre paradoxe est que la photographie soit ici utilisée pour parler de l’esprit, de l’invisible, du rêve ou des croyances qui ont remplacé Dieu après que Nietzsche a décrété la mort de Dieu. La photo qui pourrait apparaître comme un média objectif, reflétant par nature la réalité, est ici le médium des médiums, l’outil du spirituel.

Carine Fol a lâché ses artistes en marge, mais pas leur problématique. Elle a d’ailleurs placé son expo sous une phrase de Dubuffet qui disait qu’il fallait sortir des sentiers balisés et "faire un bond dans l’informe, dans ce qui vous est étranger".

Le choix de Carine Fol (elle a beaucoup puisé dans les collections du musée de Charleroi) forme en lui-même un paysage. Les photos, peu nombreuses, ont de la place, se répondent l’une l’autre. On est loin des expos stressées, du temps compté, des thèses assénées. Ici, il faut réapprendre le silence qui crée en nous une autre musique.

Son parcours commence par des photos historiques étonnantes, celles sur des expériences de médiums prises par le baron Von Schrenk-Notzing au début du XXe siècle. Man Ray aussi a tenté de photographier ce qui était au-delà du visible. Coup de cœur pour Francesca Woodman dont on ne montre que deux tirages mais magnifiques. Cette Américaine, morte à 33 ans à New York, en 1981, met en scène des images qui expriment son état mental.

L’illusion du réel est bien exprimée par les photographies de Miroslav Tichy, images furtives et sensuelles d’un voyeur; Gaël Turine et Carl De Keyzer affrontent plus directement les envolées sectaires de certains religieux. Mais on peut plutôt s’envoler dans les étoiles avec Pierre Radisic qui part des points de beauté du corps pour en faire des constellations, renvoyant au grand coucher de soleil de Gursky. Le corps peut donc devenir paysage comme le montrent le Finlandais Minkkinen et Sarah Van Marcke qui se fond, avec son corps, dans des architectures modernistes. La célèbre vidéo "Reflecting pool" de Bill Viola apparaît alors comme une proclamation : les corps peuvent se fondre dans le paysage, mystérieusement. Et cette exposition élégante se termine joliment et sobrement : deux grands tirages noirs de Dirk Braeckman entourent un extrait de "Lost Highway" de Lynch. On y roule dans le brouillard vers on ne sait où. Une métaphore de notre esprit.

"Mindscapes" à la Centrale, place Sainte-Catherine 44, jusqu’au 30 septembre, ouvert du mardi au dimanche de 10h30 à 18h.


"Mindscapes" à la Centrale, place Sainte-Catherine 44, jusqu’au 30 septembre, ouvert du mardi au dimanche de 10h30 à 18h.

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