Anish Kapoor tire au canon !

Rétrospective Anish Kapoor au beau musée De Pont, un peu au nord d’Anvers. Saisissant.

Guy Duplat, Envoyé spécial à Tilburg (Pays-Bas)
Anish Kapoor tire au canon !
©D.R.

En entrant au musée De Pont, à Tilburg, le visiteur a toutes les chances d’entendre tonner le canon et de sentir vibrer murs et planchers. Toutes les trente minutes, un grand canon à air comprimé projette à 80 km/heure un pot de 9 kg de cire et vaseline rouge qui s’écrase dans le coin d’une pièce et éclabousse les murs du si beau musée. L’effet est saisissant. Le rouge éclate, c’est le rouge de l’intérieur de nos corps, du sang. Un geste qui rappelle les éclaboussures de Jackson Pollock. Comme pour Pollock, la peinture échappe au créateur et fait son chemin, seule, sans plus de nécessité d’avoir l’artiste sur place, produisant une forme surgie d’elle-même.

Au rythme prévu, la salle se remplira petit à petit de cette cire rouge et à la fin de l’exposition, le 27 janvier, ce seront 30 tonnes de "peinture" qui seront étalées dans la pièce et sur les murs.

Si vous avez raté sa grande expo à la Royal Academy de Londres, l’érection de sa tour monumentale "Orbit" à Londres, pour les J.O., ou son œuvre envahissant le Grand Palais à Paris pour Monumenta, vous avez une belle occasion de découvrir les dernières œuvres d’Anish Kapoor. Et cela, à une grosse heure à peine de Bruxelles dans un merveilleux musée qui montre aussi une partie de sa riche collection permanente, de Marlène Dumas et Berlinde De Bruyckere, à Penone et Gerhard Richter.

La semaine dernière, la Reine Béatrix, grande amatrice d’art actuel, est venue saluer cette exposition. Le musée De Pont fut un des premiers à reconnaître le talent de l’artiste d’origine indienne, né en 1954. Il y a vingt ans, lors de l’ouverture du musée De Pont, on y présentait déjà ses œuvres que le musée avait achetées.

La sculpture chez Kapoor se situe dans la filiation d’Yves Klein, de Richard Serra et James Turrell. Elle utilise la couleur pure, le vide (le vide peut être très plein !), le sublime, le poli et "l’impoli", la présence/absence, pour brouiller nos perceptions.

La grande salle du musée De Pont est occupée par des grands miroirs en acier inoxydable qui donnent le vertige : un cône, un parallélépipède, des rectangles suspendus et courbés, en métal poli, mais dont les parois sont mystérieusement courbes sans qu’on le voie. Et nos reflets deviennent fous, troublants, hypnotiques. Les visiteurs, souvent des jeunes, s’amusent à se regarder dans ces miroirs d’apparence si sages et en fait, fous comme des miroirs de parcs d’attraction. C’est le but de Kapoor, d’impliquer chaque visiteur, de montrer que l’œuvre existe par sa présence.

D’autres œuvres de Kapoor semblent résulter d’un rituel dont on ignore le sens, crée des formes qui paraissent générées d’elles-mêmes, et sont des objets où la main de l’artiste a disparu. Sur un mur, "Pregnant" (enceinte) montre une protubérance blanche, une boursouflure de la surface dont on peine à cerner le contour exact. De grandes cavités concaves, aux couleurs pures, semblent défier nos sens dans leur perfection irréelle. Anish Kapoor a aussi placé au musée De Pont son immense "Laocoon", qui est en fait comme une grande bouche rouge sang (le rouge est sa couleur fétiche) qui termine un long tube comme un œsophage ou un intestin. Le rapport est immédiat avec la salle suivante. Là, plus de matière polie, de jeu des perceptions et de couleurs pures. On y voit "l’impoli" comme le tir du canon : des amoncellements de formes en ciment posées sur des palettes. Comme des excréments, ou des fourmis monstrueuses ou une concrétion de corail. Un mélange de naissance du monde et de ruine déjà.

Anish Kapoor, jusqu’au 27 janvier, musée De Pont, de 11 à 17 h, fermé le lundi

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