Le Louvre à Lens, une formidable audace récompensée
Le Louvre-Lens s’ouvre au public le 12 décembre. Une architecture légère et magique, un musée dans la cité, magnifique.
Publié le 05-12-2012 à 10h45
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Le contraste est saisissant et hautement stimulant. A Lens, la grande ville industrielle du Nord, durement frappée par la fin des charbonnages, la ville où 34 % des jeunes sont au chômage et 16 % de la population cherche un emploi, s’est installé un des plus beaux et riches musées du monde. Une merveille.
Dans la ville, au cœur de la cité, à l’ombre de deux immenses terrils, dans la ville du football, la culture arrive en force. Et le musée nouveau, appelé le Louvre-Lens, vise au moins 500 000 visiteurs par an avec tout ce que cela devrait impliquer de retombées économiques - logements, transports, Horeca, magasins. Lens espère que les retombés du musée seront comme celles dont avait bénéficié Bilbao après l’arrivée du Guggenheim.
Nous avions déjà décrit longuement le musée que nous avions visité avec ses deux architectes japonais du bureau Sanaa, Ryue Nishizawa et Kazuyo Sejima ("La Libre" du 2 novembre dernier). En le revoyant ce lundi, sous un ciel maussade, à la veille de son inauguration officielle par le président François Hollande, la beauté légère et argentée du bâtiment se confirme. On est aux antipodes du geste architectural spectaculaire, loin de l’arrogance d’une cathédrale de l’art perchée sur une ville de corons. Le musée n’a ni façade principale ni étage, il est doucement posé sur la colline boisée, sur le terril horizontal où se trouvait le puits numéro 9. Les cinq bâtiments sont délicatement accrochés l’un à l’autre, comme des barques le long des berges d’un fleuve, le fleuve de l’art. Les surfaces d’aluminium poli (techniquement très difficiles à placer), comme des miroirs, reflètent la lumière grise de ce lundi d’automne, les ondées et le soleil timide. Une architecture ouverte aux visiteurs, transparente, comme le voulait le directeur du Louvre Henri Loyrette, chaud partisan d’un rapprochement du musée avec les gens.
On a de la peine à imaginer que le musée couvre 28 000 m2 et s’étend sur 360 m de long. Il est significatif qu’il soit impossible de le prendre réellement en photo. On ne saisit que son ombre, c’est un musée qui se vit, qui s’expérimente.
Les jardins du "musée-parc" enserré dans des quartiers ouvriers sont en voie d’aménagement. L’ancien terril transformé en bois a onze entrées pour les visiteurs qui peuvent alors le long des "cavaliers" (les sentiers des mines) rejoindre le musée. Près du musée, les routes sont percées de trous où poussent des mousses et des petits massifs.
Le bâtiment d’accueil est entièrement vitré, sans porte principale. Il sert de dispatching central, de lien entre l’extérieur, la ville, le ciel et les salles où l’art est proposé. Un escalier mène au sous-sol, où on peut découvrir les réserves et les ateliers de restauration. Le musée se veut ouvert sous toutes ses facettes.
Il y a trois salles d’exposition, avec au total 535 œuvres, pour la plupart venues du Louvre Paris. De quoi passer des heures à les visiter.
D’abord, la "Grande Galerie" : 120 m de long et 25 m de large (3 200 m2). Le sol est en béton lissé, les murs sont dans cet aluminium anodisé réfléchissant. La surface est d’un seul tenant, sans piliers centraux et, partout, la lumière est zénithale et automatiquement corrigée si nécessaire. La légère déclivité du sol (85 cm de dénivelé d’un bout à l’autre) donne au visiteur qui y entre une vue en surplomb sur toute la salle qui se transforme, selon l’expression d’Henri Loyrette, en "un grand fleuve de l’art". Les murs vides aux reflets argentés ajoutent à cette image de fleuve. Cette salle est exemplaire de l’ambition du Louvre-Lens : 205 chefs-d’œuvre du Louvre, de toutes les époques, de toutes les régions, sans hiérarchie, mélangeant peintures et sculptures, art et arts décoratifs, y sont montrés (tous les ans, on changera 20 % des pièces). "Nous les avons disposés pour créer sans cesse des dialogues entre les objets et tableaux. C’est la marche du visiteur dans la salle qui fait le sens", explique Adrien Gardère, responsable de la scénographie. "Il y a deux siècles, il y avait un débat sur la présentation des musées, explique Henri Loyrette. On a opté alors pour une présentation encyclopédique par genres et par époques. Ici, on peut réinventer et refaire des ponts et des liens qu’on ne voit plus à Paris" (lire notre article à la page suivante). L’autre espace, l’autre "halle", a une présentation plus classique, plus cloisonnée et est réservée aux expositions temporaires. Il y en aura deux par an. La première, consacrée à la Renaissance, montrera des œuvres clés du Louvre (page suivante). Ensuite, les expos accueilleront des œuvres d’autres grands musées. La seconde exposition temporaire aura pour thème "Rubens et l’Europe" (une expo évoquera ensuite les désastres de la guerre, depuis Goya). Un choix qui marque la volonté du Louvre-Lens de viser aussi un public du Nord, belge et néerlandais. D’ailleurs, toutes les explications au Louvre-Lens sont en trois langues : français, anglais et néerlandais. La suivante sera consacrée aux Etrusques. Un troisième lieu d’exposition, plus petit, ouvert sur la nature, "le pavillon de verre", organise des petites expos thématiques (la première sur "la perception du temps").
Le musée a coûté 150 millions d’euros, quasi entièrement payés par la région Nord-Pas-de-Calais avec le département et les villes proches. Son budget de fonctionnement prévu est de 15 millions par an, payés à 80 % par la région.
Cet "autre Louvre" est un miracle dont on n’est pas sûr qu’il puisse se reproduire à l’heure des dèches budgétaires. Il est dû au volontarisme d’Henri Loyrette mais aussi à celui de Daniel Percheron, le président de la région Nord-Pas-de-Calais, un efficace et généreux tribun socialiste qui dit avoir "rêvé" ce Louvre : "Il y a dans cette démesure du rôle de la région, l’énergie du désespoir. Nous avons tellement besoin de relever la tête, de fixer l’horizon." Il ajoutait lundi : "Nous avons retourné nos poches vides pour financer ce projet et permettre que les plus grands chefs-d’œuvre soient là où étaient le regard bleu des mineurs montés des puits." Il s’affirme keynesien, croyant à la force d’un investissement culturel (moins cher au total que la rénovation prévue du zoo de Vincennes). "Le football nous avait déjà permis d’affirmer une ambition, l’art fera de même et devrait augmenter le PIB de Lens de 10 %." Bravache, il ajoutait : "Je ne partirai pas avant que la Joconde soit montrée à Lens. Certes, elle ne voyage plus, mais à Lens, le Louvre est toujours chez lui." Et il va lancer un mécénat populaire auprès des milliers de petites entreprises locales pour que chacune verse mille euros par an. Il a la foi qui soulève les montagnes.