Le roi Wilson fêté à Paris
Trois spectacles, une expo au Louvre, des performances.
Publié le 14-11-2013 à 05h39 - Mis à jour le 18-11-2013 à 07h24
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L’événement de cette fin d’année à Paris est l’hommage tous azimuts rendu à Robert Wilson. A 72 ans, ce natif de Waco, au Texas, qui vit dans son phalanstère artistique de Watermill près de New York, est une icône du XXe siècle. Le "New York Times" parle d’"une figure incontournable du monde du théâtre expérimental, un explorateur dans l’utilisation du temps et de l’espace scénique". Il est l’invité du Festival d’automne (l’Avignon de Paris), et l’invité du Louvre.
Le week-end dernier, les festivités ont été lancées avec "The Old Woman" au Théâtre de la Ville, qu’on avait vu avant au Singel à Anvers. Spectateurs enthousiastes (Kristin Scott Thomas assise devant nous) et critique dithyrambique, ont salué ce spectacle. Un applaudissement trop général car il y a une sorte de répétition dans le théâtre de Bob Wilson, d’esthétisme trop construit pour créer la vraie émotion.
"The Old Woman" met en scène deux monstres sacrés : le danseur étoile Mikhail Baryshnikov et l’acteur Willem Dafoe dans le rôle du méchant. Grimés, les cheveux en banane, la figure de craie, ils forment un duo de clowns à la Buster Keaton (une des références de Bob Wilson), dans une histoire beckettienne de l’auteur russe Daniil Kharms. On connaît celui-ci en Belgique depuis le beau spectacle d’Arsenic "Eclatsdharms". Daniel Harms, qu’on appelle aussi Daniil Kharms, né à St-Petersburg en 1905 et mort de faim en hôpital psychiatrique en 1942, fut victime tout au long de sa vie du stalinisme. Ce poète fit partie de l’avant-garde russe avec Malevitch et ses écrits sont des fragments, parfois courts comme des aphorismes, rarement longs comme de petites saynètes. Des textes sur le soir de la vie, sur les souffrances de l’homme, la course du temps, le contrôle social ou le risque scientiste. Ces fragments sont d’une totale liberté et frôlent souvent le féerique.
Absurdité du totalitarisme
C’est le cas avec "Old Woman" où les deux compères courent à perdre haleine derrière une vieille qui a l’heure sur une montre sans aiguille, la découvrent morte, ou se demandent si le 8 vient avant ou après le 7. Derrière la comédie burlesque, il y a l’absurdité du totalitarisme.
La morale est superbe : "Une droite brisée en un point forme un angle, alors qu’une droite brisée en tous ses points forme une courbe."
Les deux acteurs jouent avec une précision diabolique dans un univers féérique où Bob Wilson règle la lumière à son habitude, créant la magie de l’expressionnisme allemand et du constructivisme russe, autant que celle du cirque ou des minimalistes américains !
Mais on n’ira pas jusqu’à répéter le cri d’Aragon découvrant en 1966, le premier Bob Wilson, "Le regard du sourd", et écrivant à Breton : "Je n’ai jamais rien vu de plus beau en ce monde depuis que je suis né."
Watermill
Bob Wilson a marqué une génération de créateurs. Il reste d’une activité débordante. Sa dernière œuvre est une vidéo avec 24 portraits de Lady Gaga prenant les poses de tableaux célèbres : Marat dans sa baignoire par David, la tête de Saint-Jean Baptiste sur un plateau.
On découvrira à Paris sa dernière grande production : "Peter Pan" avec, comme chanteuses, les sœurs Cassidy, soit Cocorosie. Et en janvier, au Châtelet, il reprend la pièce mythique entre toutes, "Einstein on the Beach" (1976), sur une musique de Philip Glass et chorégraphié par Lucinda Childs.
Il était naturel que Paris fête ce géant plus apprécié en Europe que dans son pays. Il y fut invité 18 fois en 40 ans, au festival d’automne.
Au Louvre, il expose une partie de sa collection de Watermill, sa résidence de Long Island. Il en a fait une communauté d’artistes, y invitant chaque été 60 à 80 artistes de 25 à 48 pays différents, pendant 4 à 5 semaines de création intensive en toute liberté. Autour d’eux, la collection d’objets de Wilson : œuvres océaniennes, meubles qu’il a dessinés lui-même, photographies de grands artistes, ou simples objets trouvés (au Louvre, on montre, entre autres, des chaises trouvées).
Wilson lui-même vient de réitérer au Louvre une performance de John Cage : "Lecture on Nothing".
Sa méthode qu’il répète inlassablement : "Je commence dans le silence et l’immobilité par une page blanche, histoire d’avoir la tête vidée et aucune référence. Ensuite, je débute par la lumière."
Bob Wilson invité du Louvre et spectacles au théâtre de la Ville et au Châtelet. A Paris avec Thalys, en 1h22.